S'attaquer au mythe Jean-Luc Godard représente déjà une gageure en soi, à tel point qu'exégèses, argumentations solides et même simples conversations au sujet de son Oeuvre semblent systématiquement disputées par le principal intéressé au fil des rencontres, interviews et autres conférences de presse de sa prestigieuse carrière. Ainsi lorsqu'un réalisateur tente l'entreprise périlleuse de faire un film sur le bonhomme il a tout intérêt à retourner sept fois l'objectif dans son esprit avant d'y aller carrément ; Godard semble définitivement LE sujet sur le Cinéma se suffisant à lui-même, tellement hermétique à la critique et ouvert aux incertitudes que la meilleure façon de le découvrir ou de l'étudier serait, de fait, de voir ou de revoir intensément, passionnément tous ses films.
Il fallait donc - pour complaire au terrorisme publicitaire gagnant des galons année après année sur l'industrie-cinéma - qu'un artisan s'empare de la légende vivante JLG pour mieux la dénaturer. Et comme un malheur n'arrive jamais seul il fallait que cet artisan soit le type qui a réalisé The Artist, l'hommage factice aux grands trépassés du cinéma muet : le notoire Michel Hazanavicius, réal iconoclaste à l'estomac bien trempé transformant ses sujets initiaux en de parfaites figures Voici, Paris Match et tout le tralala.
Le Redoutable selon Hazanavicius prend comme point de départ l'année 1967, année charnière dans l'Oeuvre de Godard puisqu'il s'agit de celle du tournage de La Chinoise et de sa rencontre avec la bressonnienne Anne Wiazemsky ( ici jouée par la sois-belle-et-tais-toi Stacy Martin, fadasse comme jamais ). Préférant s'atteler à ce qu'il sait faire de mieux ( le pastiche ) Hazanavicius néglige complètement l'esprit Godard, restant en permanence à la surface des choses : ainsi on verra un Louis Garrel singer jusqu'au cabotinage la figure-titre, une abondance de formules godardiennes récupérées plus ou moins véridiques ou encore une reconstitution chevronnée des années 60-70 pour imposer avec un soin persifleur son savoir-faire. Sur le plan purement technique le film demeure très propre et plutôt astucieux... Mais de Godard, pas l'ombre d'une âme : seulement des signaux, des aphorismes, des figures de style exécutées dans un registre parfois assez malvenu, déplacé. Sans réellement se moquer outre mesure de Jean-Luc Godard Le Redoutable ne respecte pas totalement son sujet, se cantonnant au biopic glamour tant appréhendé et que Michel Hazanavicius n'évite aucunement.
Pis que tout : alors que Godard sait cadrer un plan, Michel Hazanavicius ne fait qu'encadrer une succession d'images. Tout est trop fabriqué, trop mis en scène pour éprouver de la sympathie pour cette reconstitution certes très travaillée mais nullement authentique... D'autant plus qu'avec la fameuse période transitoire de l'Oeuvre de Godard présentée ici ( période allant de La Chinoise aux premières armes du groupe Dziga Vertov en passant par les évènements de Mai 68 ) il y avait matière à aller bien davantage en profondeur. Reste en définitive l'effet d'un film de petit malin très bien fait mais sans saveur ni profondeur. Moyen.