Le culte voué à Kaamelott, les succès d’Alexandre Astier dans le domaine de l’animation et l’annonce faite depuis des années d’un long métrage sur l’univers de sa série cumulent un trop grand nombre d’attente pour raisonnablement juger son film. Les adorateurs feront preuve d’une tolérance aveugle, les sceptiques n’y verront rien à sauver. Quoi qu’il en soit, personne ne pourra nier la nature assez bancale de cet édifice, et les sentiments contradictoires qu’il peut susciter.


Quiconque apprécie Kaamelott considérera cette sortie comme des retrouvailles festives avec un univers aux codes singuliers : dès l’ouverture, les petits nouveaux Gallienne et Cornillac s’approprient la langue ciselée d’Astier, avant que ne défilent les grandes figures de la Table Ronde, éparpillées et plus ou moins abîmées par les diverses intrigues et le passage des années. Le défi est de taille pour Astier, qui veut évidemment citer tous les personnages, et doit imaginer des regroupements et récits parallèles pour faire tenir la trop vaste galerie dans l’espace réduit d’un long métrage. Mais la dynamique fonctionne plutôt bien, et la convergence des différentes pistes dans la dernière partie s’avère convaincante. L’humour est évidemment de la partie, avec des effets irréguliers : tantôt, les répliques fusent et font mouche, alors qu’elles peuvent se trouver à d’autres moments minées par un tempo irrégulier et l’inévitable sensation d’assister à un alignement d’épisodes qui perdent de leur mordant. C’est là toute l’ambivalence du projet : Astier ne peut pas se défaire du rythme et des gimmicks de sa série. Certains y verront du fan service (la partie de Robobrol, notamment), d’autres des friandises, mais il est clair que l’ampleur générale du long métrage en pâtit. Quelques pistes, comme la coordination des armées Burgondes par la musique, auraient pu être développées, surtout lorsqu’on connaît le rapport du réalisateur à la composition, tandis que certains pans (tous les flash-backs sur la période romaine) alourdissent considérablement le récit.


Mais ces maladresses restent du domaine de l’écriture, et s’articulent autour de cette passation forcément délicate d’un format à un autre. Ce ne sont pas là les majeures limites d’un film qui sait renouer avec une galerie de personnages (retrouver Perceval, Karadoc ou Léodagan est toujours un plaisir), offre de jolies trouvailles (le prétendant à Guenièvre faisant de sa conquête une quête chevaleresque) et permet de faire avancer – un peu timidement, il est vrai – l’intrigue générale.


L’ambition du grand écran – et les enjeux financiers du projet – font de Kaamelott une grosse machine : la variété des décors, l’ouverture sur l’extérieur, le travail sur les costumes et la scène voulue comme épique dans sa bataille finale en attestent. Et c’est là que le film accuse le coup. L’édifice déjà fragilisé par ses enjeux d’écriture se voit malmené par une mise en scène peu inspirée, un montage clairement déficient et un sentiment général assez douloureux d’illégitimité. Dans sa gravité et sa solennité, Kaamelott voudrait avoir l’ampleur d’un grand film – soulignée par la bande originale composée par Astier lui-même, et qui donne bien des indices sur ses ambitions -, mais ne parvient jamais à véritablement l’atteindre. Parce que l’humour vient toujours un peu lourdement contrebalancer l’affaire (voir, par exemple, l’interruption d’Arthur allongé sur la table à la fin), mais surtout parce que la maîtrise n’est pas à la hauteur. Le combat final, d’une grande laideur, supporte mal la vision dans une salle, et la répétition des motifs (la mélancolie, les traumas du passé, le refus du pouvoir, la réticence à exécuter l’ennemi…) laissent un goût d’inachevé pour une œuvre censée se présenter comme un aboutissement.


Évidemment, on ne souhaite que le meilleur à Astier : que le succès de ce premier volet entraîne la mise en œuvre des suivants, et que le public français continue de vibrer pour un projet national d’envergure. Espérons que l’ambition dont il ne manque pas saura insuffler à son travail une véritable dimension cinématographique.


(5.5/10)

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le 23 juil. 2021

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Sergent_Pepper

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