Hideo Gosha explore un nouveau domaine à l'image de ses nombreuses expérimentations des années 80, ici celui du gambling (le jeu), via l'approche féministe qu'il n'a cessé de développer durant la décade qui a précédé, au grand dam de l'amateur de ses films de yakuzas et de gangsters que je suis. Or, bien vite (il m'a quand même fallu deux visionnages pour le digérer entièrement), ce film a balayé mes craintes. Il s'agit non seulement d'un film éblouissant visuellement parlant, mais qui livre un récit minimaliste bien éloigné des lourdeurs narratives qui plombaient ses anciens essais depuis L'ombre du Loup. Bref, voilà une véritable renaissance pour un auteur qui s'était un peu perdu en termes artistiques, en dépit d'un public qui le suivait plus que jamais.
Les quarante-cinq premières minutes concentrent selon moi les meilleurs moments du film. La première scène est absolument magnifique, affichant les tatouages dorsaux d'une mystérieuse femme nue, qu'on enchaine aussitôt par un gros plan centré sur son visage captivant et plein de mystère. J'ai beaucoup aimé également son introduction dans le milieu du jeu, dont les joueurs ressemblent étrangement aux samouraïs d'antan, comme si les uns avaient remplacé les autres dans la logique des affrontements inter-individuels. Nous découvrons aussi l'ambiance du jeu, avec son arrière-plan érotique, ses enjeux collectifs (la survie des clans, bons ou mauvais), et individuels (l'investissement en l'avenir du frère adoptif de la joueuse professionnelle). Alors que Gosha est réputé pour nous perdre un peu trop dans ses personnages secondaires, cette fois-ci les enjeux sont clairs, avec une compétition de jeu qui représente pour la professionnelle à la fois un moyen de défendre sa réputation et l'honneur de son clan, l'avenir de son frère adoptif (en rachetant son restaurant), et la guérison de ses démons du passé.
Alors c'est certain que je n'ai pas compris tous les tenants et aboutissants de ce jeu traditionnel. Mais finalement peu importe, car j'ai été fasciné par la mystérieuse cérémonie et du minutieux rituel qui l'entourent. Et ce jeu n'est au fond qu'un prétexte, aussi bien pour le personnage principal, que pour Hideo Gosha qui se lâche dans la forme en termes de composition d'image et de découpage. En allant à l'essentiel, il parvient aussi à rendre intéressantes les histoires secondaires, telles que les relations amoureuses ou fraternelles qui s'y dessinent, ou les jeux de pouvoir entourant le restaurant familial destiné au frère adoptif, malgré un rythme assez lent. Quant au casting, je retiens surtout (bien sûr) l'interprétation de Tatsuya Nakadai, toujours aussi bon dans un rôle qui concentre au fond tous les rôles masculins des films réalisés par Gosha durant les années 80, avec un dénouement (apocalyptique à souhait) qui peut surprendre lorsqu'on connaît le lien qui l'unit à la joueuse tatouée (incarnée par une actrice également très investie dans son rôle). Ainsi, avec Kagero, Gosha accomplit une formidable, car inespérée (comparé à ses précédents films de la même période), synthèse de son travail. Tout y est, l'esthétique magnifiant les corps nus ou tatoués ou simplement une attitude face à la vie, et le thème central de la femme qui a à faire sa place dans un monde d'hommes (en insistant ici sur le rapport père/fille), le tout avec une certaine concision dans l'écriture. Sans oublier le thème musical principal qui est une petite merveille dans le genre.