Critique complète sur mon blog : https://lantredelapopcultureducinephilearmoricain.wordpress.com/2024/01/21/kaguya-sama-love-is-war-first-kiss-that-never-ends-quand-les-masques-sociaux-finissent-par-tomber/
Le 25 juin 2022, s’achevait la troisième saison de l’adaptation animée de Kaguya-Sama Love is War : une comédie romantique mettant en conflit deux génies ayant chacun des sentiments pour l’autre, mais trop orgueilleux et fiers pour l’admettre et qui ont donc eu recours à moult stratégies aussi élaborées qu’absurdes et abracadabrantesques, pour pousser l’autre à se déclarer.
Mais au terme de multiples péripéties lors de la Fête de clôture du festival de l’académie Shûchiin, Miyuki est parvenu (à travers une mise en scène sortie tout droit d’un Shôjo de luxe) à faire une déclaration à Kaguya. Kaguya qui n’a pas traîné pour répondre à ses sentiments par un baiser langoureux, et ce pour son premier baiser.
Dans de nombreuses comédies romantiques en animé ou en manga, ce moment marquerait la fin de l’œuvre, ou du moins mènerait à un épilogue par la suite. Mais pas ici, car dès le film sorti le 17 décembre 2022 au Japon et en France le 11 février 2023 pour une sortie limitée, l’auteur de l’œuvre d’origine aborde plus d’une problématique concernant cette relation, soi-disant, officielle. Quand une déclaration a été faite, comment aborde-t-on notre relation par la suite ? Est-ce que l’on peut se satisfaire d’une romance idyllique, ou bien est-on en droit d’espérer une liaison plus terre-à-terre ? Doit-on se montrer tel que l’on est auprès de celui ou celle qu’on aime, ou bien faut-il accepter de cacher les parts de soi-même dont on a honte ? Et surtout, c’est quoi le sexe ?
Kaguya-Sama Love is war a pour but de mettre à nu les masques sociaux établis par les personnages. Et cela, c’est surtout vrai pour ses deux héros qui mènent la danse depuis 14 tomes à ce moment-là. Rendus à la moitié de l’œuvre, les spectateurs connaissent très bien ces deux protagonistes, ainsi que leur entourage qui a également ses dilemmes sentimentaux à régler. On connait en partie la noirceur de l’éducation qu’a reçu Kaguya Shinomiya et qui a fait d’elle, partiellement, une manipulatrice faisant en sorte de tirer profit de son entourage comme sa famille l’a toujours fait. On sait aussi à quel point elle manque d’expérience personnel pour des sorties plus terre-à-terre. On sait que Miyuki est issue d’un milieu modeste par rapport à son établissement et à quel point il s’est battu pour être respecté et pris au sérieux par des élèves qui sont, pour la très grande majorité, issus d’un milieu aisé.
De ces deux origines, Aka Akasaka va progressivement nous mener, ici, au véritable mal-être personnel qui les empêche, tous deux, d’assumer pleinement leurs sentiments et surtout d’assumer chacun ce qu’ils sont. Et ce, au-delà de leur statut social, de leur image, de leur réputation, et de ce que chacun a envie de montrer aux autres au quotidien.
Dès l’instant où la part glaciale de Kaguya prend le dessus, le spectateur est autant pris de court que Miyuki : désagréable, terriblement méprisante, sans tact dans ses mots, et insupportablement audacieuse quant aux faits survenus à la fin du festival. Kaguya choisit consciemment de mettre Miyuki (et le spectateur) à l’épreuve pour le pousser à accepter la part négative et même très lâche, de l’héritière de la famille Shinomiya. Cette attitude étant surtout affichée pour se protéger de sa bourde et garder une certaine distance dans un premier temps. Mais aussi afin de mettre Miyuki à l’épreuve pour savoir si il est prêt à accepter cette partie de la personnalité de Kaguya… et surtout, si Miyuki sera prêt à se mettre à nu également.
Cette attitude n’a beau durer qu’une demi-heure, elle ne s’efface pas de ma tête, c’est indélébile. Elle vire pratiquement dans l’archétype de la tête-à-claques universelle vis-à-vis du président du BDE. Mais pas des autres puisqu’elle conserve une certaine bienveillance cordiale et relative vis-à-vis de Yû, Chika et Miko. La caricature a toujours été un outil de caractérisation dans Kaguya-Sama, surtout vis-à-vis de ses deux génies qui deviennent un peu plus humains à chaque tome, dès lors qu’Akasaka montre leurs énormes lacunes en tant que personnes. Et dans le cas de Shinomiya, ça ne manquera pas d’éclater pleinement durant le second acte.
Quant à Miyuki Shirogane, ce dernier agit différemment de Kaguya avec un tout autre but : il se montre perdu et trop reposé sur les derniers événements. Sa nature perfectionniste et son incompréhension face à l’attitude soudaine de Kaguya ne joueront pas non plus en sa faveur. Mais on est largement tentés de le prendre en peine tant, ici, il est dans l’absence de contrôle et surtout de prise de risque, alors qu’il tente en vain de saisir le comportement subitement hautain et provocant de la vice-présidente du BDE. La seule réponse qui lui viendra étant de continuer sur sa lancée, en se surmenant pour tenter de satisfaire les attentes de Kaguya… jusqu’à s’en rendre physiquement malade.
De facto, un profond sentiment de déstabilisation totalement voulu par Akasaka se manifeste : au-delà de l’efficacité comique habituelle de Kaguya-Sama (mini Kaguya, un des plus grands moments de mignonnerie de la licence ; les idées mal placées de Miko ; la frustration de Maki Shôji ; le réveillon de Noël chez les Fujiwara), des sous-intrigues installées en parallèle (le cœur du festival récupéré par Ino Miko ; la relation fusionnelle entre Yû et Tsubame) et de l’animation embellie en matière de coups de crayon, de 3D et de couleurs, on a la sensation de voir un autre type de face-à-face entre Kaguya et Miyuki. Et ce combat, c’est celui de leur vision de l’amour, alors que tous deux n’en ont qu’une idée caricaturale et idéalisée.
Un combat qui prendra tout son sens lorsque Miyuki s’écroulera de fatigue devant Kaguya, alors que les deux protagonistes semblaient enfin trouver une longueur d’onde dans cette situation. Et ce, dans une mise en scène volontairement théâtrale mais largement adéquate dans le cas de Kaguya (et brillamment portée par la performance à fleur de peau d’Aoi Koga en VO), et plus terre-à-terre et fataliste pour Miyuki. Cette mise en scèn, nous dévoile à quel point derrière la fierté de Kaguya et Miyuki, se cache une profonde honte et une inexpérience sociale et sentimentale qui leur fait obstacle.
Sur le plan de l’amour, Kaguya est d’avis que chacun doit accepter de se montrer pleinement tel qu’il est, face à l’être aimé, ce qu’elle choisit de faire afin de mettre Miyuki à l’épreuve. Mais elle n’a que du dégoût pour son visage de glace qu’elle a porté pendant si longtemps, avant de le réprimer. Un visage faux mais sculpté tant par son éducation ultra stricte, que par ses échecs répétés avec d’autres étudiantes de son âge, au fil du temps. Au point de créer volontairement un fossé entre elle et son entourage, tant pour se protéger que pour ne plus blesser autrui.
Miyuki lui, c’est un problème inversé : selon moi, on ne doit montrer que le meilleur de soi-même pour que ça marche en amour, car l’imperfection est source de déceptions et d’échec. Surtout quand le statut social est une telle source de complexe dans le milieu où on évolue, de ce fait, Miyuki se sent obligé d’être au meilleur, afin de se sentir digne de Kaguya qui est, à ses yeux, la représentation de la perfection. Cependant, à trop donner de lui-même, non seulement il nuit à sa propre santé mais surtout, il se montre incapable d’accepter ses propres faiblesses. Plus important encore, il se fourvoie totalement sur ce que veut Kaguya, elle qui espère désormais autre chose que du romantisme. Et le point fort qui va définitivement démontrer toute la faiblesse de Miyuki : ce sont, là aussi, ses échecs à satisfaire les attentes d’une mère qui l’a délaissée. Ce qui ne fera que contribuer à cette idée, selon Miyuki, comme quoi seule la perfection lui permet de se donner de la valeur, et ce quelque soit le domaine.
Si Kaguya-Sama love is war avait débuté par une guerre d’égo entre deux lycéens trop fiers pour avouer en premier leurs sentiments, ici, le véritable but d’Akasaka au sujet de Miyuki et Kaguya (et accessoirement d’autres personnages par la suite), c’est surtout d’humaniser très grandement ses deux héros, en montrant ce qu’ils sont réellement : deux pré-adultes complètement perdus en amour. Confondant sentiments et romantisme. Ne refusant, de fait, non pas d’être le « perdant » soumis d’une relation, mais simplement de montrer la part d’eux-mêmes dont ils ont honte. Trop soucieux de leur image et de leur apparence pour « perdre » dans cette guerre psychologico romantique, qui n’a désormais plus lieu d’être.
Parvenir à ce stade d’humanisation et d’identification alors qu’on est dans une comédie romantique méta se riant ouvertement des caricatures et des clichés du genre (le cas Yû Ishigami ; les nombreuses situations à l’eau de rose ; Chika Fujiwara alias, l’élément perturbateur de génie de l’œuvre ; les constats blasés d’Ai Hayasaka), quitte à tourner ses personnages en ridicule face à des situations qu’ils ne contrôlent pas, à mes yeux : c’est brillant. Et surtout, ça donne une belle épaisseur narrative, dont devraient s’inspirer les animés japonais de comédie romantique, au lieu de se complaire dans leurs clichés à deux sous (coucou Nisekoi).
D’autant que séparément, Kaguya et Miyuki ont chacun une scène clé, qui en dit long sur le pourquoi du comment de leur attitude, avec un montage parallèle où chacun se confie à sa manière à une amie, sur le mur qu’ils rencontrent. À portée comique en grande partie, c’est vrai, surtout avec les émois émotionnels de Nagisa et Maki Shôji qui n’en reviennent pas
(les multiples p’tits noms familier donnés à Kaguya par Nagisa ; la frustration de Maki qui fait le rapport avec les infos partagés par Miyuki),
mais c’est un moment-phare, qui met les mots sur les problèmes de communication entre les deux responsables du BDE. Et ce, sans que la comédie n’interfère de manière intrusive avec le sérieux du sujet. Et inversement, l’importance de ces confessions n’empêche pas d’en rire avec les rôles secondaires de l’œuvre.
Enormément de belles choses exécutées avec une âme, mais qui auraient pu atteindre un pic parfait, si A-1 Pictures avait décidé d’adapter ces tomes 14 et 15 en changeant le format pour le passage au cinéma. Parce que, tel que présenté, Kaguya-Sama : the First kiss That never Ends fonctionne comme les 3 saisons par sketchs successifs. Avec une continuité belle et bien présente après chaque segment, mais dont la durée n’excède jamais 8/9 minutes : dans une série d’animation, ça ne poserait pas de problème. Mais dans un film d’animation, je trouve que ça rend le rythme moins fluide, trop balisé, même avec l’intention de respecter le format épisodique du manga.
Et vu que le film sera découpé, plusieurs semaines plus tard, en 4 épisodes constituant une mini saison 4 par Crunchyroll, je pense que les animateurs en avaient conscience. J’en profite pour pousser un coup de gueule, parce que c’est pas la première fois qu’on a un film passant du format cinéma au format série pour des animés récents : Demon Slayer : Le train de l’infini avait déjà fait le coup en proposant une saison transitoire, quelques mois après la sortie du film au cinéma. Attention à ce que ça ne devienne pas une mode, ça risque clairement de rendre les sorties en salles plus accessoires sur la durée.
En revanche, le doublage japonais est impeccable. J’ai déjà fait les éloges d’Aoi Koga par le passé sur mon blog du cinéphile armoricain, j’en ai refaits un peu plus haut ici. Makoto Furukawa ne démérite pas non plus sur Miyuki Shirogane, faisant aussi une bonne démonstration de la vulnérabilité du président du BDE, le moment venu. Le reste du casting répond présent, aussi bien Miyu Tomita sur Ino Miko que Ryôta Suzuki pour Yû Ishigami. Quant à la VF, elle est dans la lignée de la qualité offerte pour celle de l’animé, même si là encore, il y a quelques points qui souffrent de la comparaison avec la version japonaise.
Emmylou Homs la première qui, si elle s’en tire honorablement en jouant davantage dans la justesse des émotions que dans le baroque vocal, souffre immanquablement de la comparaison avec une Aoi Koga, qui s’est vraiment donnée corps et âme dans ce film. Martin Faliu, en revanche, je trouve qu’il subit bien moins cette comparaison, étant donné qu’il a davantage l’occasion d’être dans les émotions ultra appuyées lors des situations comique de Miyuki. Quant au reste du casting, si on exclut cet étrange choix de traduction du tutoiement de Kaguya envers Miyuki, alors que dans le manga et la VOST elle s’adresse toujours à lui par le vouvoiement, on a toujours un taf ouf de guedin, digne de ce qu’on a de mieux dans les dernières VF d’animé.
Puis vient le dernier acte du film qui réussit, malgré ce format, à mettre les points sur les « i », concernant le principal couple de l’œuvre. Un final dans lequel : Miyuki, qui a acculé Kaguya dans un parc mal éclairé après une seconde course folle et épique, se retrouve finalement à vivre une scène pleine de banalités. Un instant bien loin de toutes les folies dont ils ont été capables et dont ils sont encore capables. Mais où Aka Akasaka conclut enfin l’arc de Noël, en poussant les présidents du BDE et sa seconde à parler à cœur ouvert, à enfin s’accepter sans recourir à leur image sociale tissée depuis des années. Et où Miyuki est contraint de comprendre, pour la première fois, qu’il est bon d’accepter une scène de vie simple mais sincère et belle, plutôt que de vouloir créer quelque chose de tarabiscoté pour pouvoir bomber le torse.
La séquence de plusieurs minutes est à l’image de la mise en scène : simple, ordinaire mais au romantisme attendrissant entre deux futures adultes découvrant enfin, pas à pas, ce qu’est l’amour sans avoir à jouer un rôle. Où, sur le coup, chacun comprend qu’en amour, la règle de « celui qui se déclare perd » n’a jamais vraiment eu lieu d’être. Et qu’à la fin, il faut mieux ressortir digne et serein de cette supposée confrontation, plutôt que d’en sortir vainqueur mais avec une impression de faux et de superficialité dérangeante.
Le plus beau dans cette scène, c’est qu’on a une sensation d’accomplissement pour Miyuki et Kaguya. Une vraie sensation pour le coup, loin de la mise en scène baroque et théâtrale de Miyuki à la fin de la saison 3. Loin d’un élan d’héroïsme proche du cliché d’une comédie romantique standard, comme on a pu en avoir à certaines occasions. Parce que pendant cette 1h30, Aka Akasaka et accessoirement A-1 Pictures, en font enfin des personnages complets. Pas aux parcours terminés car Akasaka compte bien développer leur relation, et ne se limite pas qu’à leur point de vue, mais pour une comédie romantique initialement méta qui parvient à ce point à rendre l’attachement et l’identification limpides envers son couple principal : ça ne peut faire qu’un très bon film.
Et pourtant, dieu qu’on est loin de la fin : n’oubliez pas, 28 tomes, et on n’en est ici qu’aux tomes 14 et 15. Pour avoir poursuivi l’aventure en manga par chez nous, je peux affirmer qu’on est bien loin d’avoir tout exploré, surtout avec ce que le film laissera en suspens concernant : la relation entre Yû et Tsubame, le dilemme de de Miko Ino, la frustration d’Aï Hayasaca face aux situations romantiques autour d’elle, et surtout la possibilité d’une nouvelle bataille de ramen avec Chika Fujiwara (OUI C’EST IMPORTANT, LE PEUPLE LE RECLAME) et un membre du conseil des 4 (JE N’INVENTE RIEN).
S’il n’est pas un phénomène similaire à Suzume de Makoto Shinkai ou The First Slam Dunk de Takehiko Inoue sortis durant 2023 également : Kaguya-Sama Love is War est un film d’animation dans une excellente continuité, avec un tournant traité avec beaucoup de doigté. Et qui, surtout, nous a fait comprendre à quel point on était très attachés à ce petit monde. Autant le dire de suite, si la qualité se maintient jusqu’au tome 28 d’ici fin 2025/2026 en manga chez nous (la série étant finie au Japon), ça sera un vrai crève-cœur que de dire au revoir à ces joyeux lurons pleins de vie et cherchant leur voie en amour.