Docu fiction torturé
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Intranquille, inconfortable, étourdissant, voilà les qualificatifs qui viennent instantanément pendant que l’on regarde le troisième long métrage de Lodge Kerrigan, cinéaste américain aux seulement quatre long métrages, s’étant reconverti cette dernière décennie dans les épisodes de séries télé, comme tant d’autres avant et sans doute après lui. Et pourtant, au vu de ce qu’il nous proposait durant les 90’s, et donc, concernant le film présent, au milieu des 2000’s, il y avait fort à parier à l’époque qu’il ferait partie des cinéastes indispensables dans un cinéma américain trop normé, y compris ce fameux cinéma indépendant typé Sundance, en réalité le plus conformiste qui soit, à de rares exceptions près. Que les claustrophobes, ou plus simplement les spectateurs sujets à l’angoisse, soient prévenus, on ne circule pas dans ce film comme dans n’importe quel autre, il faut être prêt à en épouser tous les contours, à se cogner la tête contre les barricades mentales de son « héros », figure tragique dont on sera forcé d’accompagner les moindres faits et gestes, jusque dans ses actes les plus inconsidérés.
Ce personnage, c’est donc William Keane, arpentant une gare New Yorkaise, se rendant à un guichet photo à la main, face à des employés visiblement embarrassés. Cet homme, dont on devine qu’il répète les mêmes gestes chaque jour qui passe, est à la recherche de sa fillette disparue en un jour funeste de septembre, alors qu’il en avait la responsabilité. Une culpabilité dévorante le poussant à déambuler, à se raccrocher au moindre élément se mettant sur sa route, ceci n’étant que la résultante d’un désespoir dévorant se transmettant sans peine au spectateur, et ce dès la stupéfiante séquence d’ouverture. Dès lors, il sera clair que l’on ne sera pas là pour rigoler et que pour peu que l’on ne puisse en accepter la terrible inéluctabilité du destin de son protagoniste central, il sera quasiment impossible de s’y attacher, l’expérience pouvant s’avérer aliénante au possible.
Pourtant, malgré cette noirceur abyssale, cette tragédie de l’intime qui nous bouffe de l’intérieur, il y a ici un regard, celui d’un cinéaste, à la fois sur son personnage et par ricochet sur son comédien, qui ne trompe pas et qui donne envie de s’accrocher à la moindre parcelle d’espoir, même absurde, se dressant sur son chemin, car l’expérience de la vie est ainsi faite de moments de hautes turbulences et d’apaisement, même fulgurant. La moindre rencontre pouvant altérer quelque peu le court d’un destin cruel, et c’est l’emballement, l’espérance de jours meilleurs. Ici, ce sera cette rencontre d’une mère et de sa petite fille, croisées dans l’hotel où il séjourne, desquelles il se rapprochera, se reconnaissant dans leur condition, mais surtout, car cette fillette lui rappellera forcément sa propre fille. Mais comme nous ne sommes pas dans un conte de fées, chaque instant de suspension, de calme apparent, porte en lui de cette tension sourde faisant pressentir le pire.
A ce niveau, difficile de ne pas parler de l’interprétation de Damian Lewis, faisant partie de ces prestations inouïes, au-delà du réel, qui nous accompagneront toute une vie de cinéphile. Qu’il soit fébrile, comme prêt à exploser à chaque instant, ou doux, avec cette gamine campée par une toute jeune Abigail Breslin dont le visage angélique symbole de l’innocence va de pair avec de courtes réflexions donnant l’impression qu’elle a déjà tout compris instinctivement de la cruauté de certains rapports humains ; il est dans son personnage à chaque micro seconde. Il n’y a pas d’alternative pour nous, on le suivra jusqu’au bout, tentant de capter la moindre nuance de regard, se faisant soudainement fuyant, porteur d’une angoisse qui pourrait s’avérer destructrice et faire sombrer le tout dans la tragédie la plus sordide.
Il n’en sera rien, mais Kerrigan ne promet pas la lune à qui que ce soit. La vie reste la vie, et l’ultime séquence, incroyable de tension, concluant le tout sur des points de suspension, là où tout avait débuté, ne dit rien d’autre que ça. Malgré un dernier échange qui ne parle que d’amour, difficile de sauter de joie pour autant. Tous ces sentiments contradictoires se complétant pourtant à merveille sont la marque d’un auteur majeur, semblant avoir tout compris de ce qui agite l’être humain, faisant preuve d’une empathie douloureuse faisant corps avec la terreur d’être en vie de son personnage. Affronter chaque jour comme s’il s’agissait d’un combat titanesque, et profiter de la moindre lueur perçant à travers les nuages noirs, voilà le quotidien de ce William Keane entrant dans la liste des héros de cinéma dont les failles profondément humaines font la pérennité. Sorties du contexte, les dernières minutes pourraient le faire passer pour un potentiel monstre, mais même ces instants quelque peu inconsidérés de sa part, ne sont que la preuve d'un amour désespéré impossible à canaliser. C'est pour cette raison que l'on ne l'oubliera pas de si tôt.
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Créée
le 31 déc. 2020
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