L’humour c’est la politesse du désespoir
En effet, dans Kidnaping Inc., l’humour, selon les dires du réalisateur Bruno Mourral, est présenté comme une “pilule” permettant de faire passer la dure réalité de la société haïtienne. Entre faits alarmants et péripéties, ce film aux multiples facettes décrit une situation politique et sociale dont on a du mal à imaginer l’ampleur, à moins d’être Haïtien et de la vivre…en trouvant l’énergie d’en rire. Le réalisateur du film nous emmène avec lui dans une aventure rocambolesque, humoristique, aux multiples rebondissements dont on ne soupçonne pas l’émotion finale.
Synopsis:
Plongés au cœur de la société haïtienne telle qu’elle est aujourd’hui, nous suivons la journée épique de deux malfrats assez maladroits, Doc et Zoe, qui viennent de kidnapper le fils d’un candidat aux élections présidentielles à la veille de celles-ci. Ayant tué accidentellement leur otage, avant même d’avoir pu le présenter pour la demande de rançon, ils risquent maintenant la mort, poursuivis par le tueur à gage de leur commanditaire. La roue de la chance semblant jouer en permanence avec leur vie, ils croisent la route d’un couple : Laura, sur le point d’accoucher et Patrick, ressemblant trait pour trait au fils du sénateur. Ils décident alors de kidnapper le couple et planifient d’interchanger les victimes. A travers les aventures inédites de nos deux protagonistes, ce film entièrement réalisé en créole haïtien, mêle comédie, action et drame aux thèmes socio-politiques fondamentaux liés à la réalité haïtienne.
Une dimension comique :
Le film exploite une veine délibérément comique, parfois même en mode “grand guignol”, comme le soulignent les gros plans sur les personnages en train de crier ou de rire, mâchoires grandes ouvertes et globes oculaires exorbités. Le parallèle entre la scène de l’accouchement et le match de football est particulièrement comique avec son lot de ralentis et de cris. De plus, nos deux malfrats sont de petites frappes très maladroites. De nombreuses scènes sont l’occasion de dialogues amusants entre les deux protagonistes, se débattant avec un coffre de voiture défectueux ou s’apprêtant à simuler un accident violent. A cela s’ajoutent les expressions créoles très imagées qui donnent au film un pittoresque très peu habituel sur nos écrans. Cette dimension comique produit un double effet: si d’une part elle permet d’alléger le ton dramatique du film, elle peut aussi créer chez le spectateur un sentiment de gêne et de confusion. Peut-on vraiment rire de telles situations ?
Action et course poursuite:
Le titre du film à lui seul constitue une promesse d’action. Le réalisateur construit un certain nombre de courses poursuites, notamment dans un des bidonvilles de Port au Prince, aux maisons imbriquées les unes sur les autres. Le spectateur est comme embarqué dans une course d’obstacles; les prises de vues en plongée donnent l’impression de suivre des souris tentant de s’échapper par le moindre trou. L’action des personnages principaux est redoublée par celles des figurants, lorsque par exemple la course poursuite vient interrompre une dispute familiale et que tous finissent par se courir après. L'alternance de vues panoramiques et de gros plans accentue le rythme effréné qui embarque le spectateur.
Des évènements dramatiques:
Pourtant, le drame est un élément central de ce film, que ce soit à l'échelle individuelle des personnages ou à l’échelle collective d’Haïti en proie à un crise sociale et politique. En effet, au-delà du thème de la violence propre au kidnapping, le film traite plus largement de la misère, de la corruption, de l’émigration et de la mort. Outre le désespoir incarné par la femme éplorée du kidnappé, le sort réservé au deux kidnappeurs ne manque pas d’émouvoir le spéctateur. Si Zoe se montre plus impulsif au risque de faire échouer les plans, son comparse Doc s'avère plus touchant,dans son projet de boucler cette ultime mission pour prendre soin de sa mère malade. Entremêlant constamment les dimensions comique et dramatique, le réalisateur ne manque pas de provoquer l’émotion du spectateur par quelques scènes uniquement dramatiques qui font quitter la légèreté du film et font prendre conscience pleinement de la réalité haïtienne.
Une portée socio-politique:
Comme le titre l’indique, avec l'extension “.inc”, le film traite du “business” du kidnapping en Haïti; en effet, en 2024, année de sortie du film, on recense plus de 300 femmes et enfants kidnappés dans ce pays au courant de l’année. Le nombre de kidnappings est en constante augmentation depuis de nombreuses années et l’équipe de réalisation elle-même n’a pas été épargnée par ce phénomène, 3 membres du tournage ayant été kidnappés. Il s’agit ici d’une représentation du quotidien des Haïtiens, “habitués”, si l’on peut dire, à ce fait social. Néanmoins, ce fil conducteur du récit, n’est finalement selon Bruno Mourral “qu’un prétexte” pour traiter de thèmes tout aussi importants tels que la corruption, la précarité, la violence et la gangrène de l’insécurité. Ainsi, dans ce qui pourrait sembler être une simple comédie au premier abord, nous nous retrouvons vite face à des scènes plus trash, telles que des scènes de fusillades ou encore des scènes explicites de torture. Mais derrière cette violence, le réalisateur pointe constamment la question de la corruption, depuis l’agent de la circulation jusqu’au sommet de l’Etat en passant par les chefs de la police. Fait particulièrement troublant qui porte à réflexion, le personnage de Doc est loin de la caricature du malfrat: comment quelqu’un ayant fait 3 ans d’études de médecine peut se retrouver à kidnapper des individus pour de l’argent ? Tous ces éléments permettent de placer le spectateur face à la dure réalité de la vie des citoyens haïtiens, car rappelons-nous bien, ce film est certes une fiction mais les faits qui y sont dépeints sont eux bel et bien réels.