C'est difficile de réaliser que l'on n'adhère pas à un succès. Je me dis que je suis malade, que quelque chose ne va pas chez moi. Que je suis cynique. Et je culpabilise. Mais rien n'y fait, comme dans le cas de ce Kirikou et la Sorcière.
Car Michel Ocelot est un homme de contradictions. Vendu comme un film chantre de la belle tradition africaine dans laquelle il a baigné nombre d'années, ce qu'il nous donne à voir ne rend pourtant guère hommage au berceau de l'humanité, ni au peuple noir. En effet, que penser des habitants du village qui continuent de mépriser et à ne pas écouter le seul qui ait assez de neurones pour déjouer les pièges de Karaba et qui sauve à deux reprises les enfants qui l'ignorent ? Une certaine idée de l'Afrique et de ceux qui y vivent. Et que dire de leurs attitudes, toujours les mêmes ? Quand un malheur les frappe, ils hurlent, quand ils sont contents, ils chantent et dansent. Youpi ! Tam tam tintamarre pour célébrer le sauveur. Pas longtemps. Le temps de la chanson hymne aux paroles qui tapent sur le système. Toujours les quatre mêmes phrases, en boucle et ad nauseam.
Ocelot croit rendre hommage à l'Afrique alors qu'au fond, il habille sa fable malhabile des pires poncifs, de ceux qui farcissent la tête des Européens qui prolongent de manière inconsciente le cliché du gentil noir un peu bêbête, indolent, naïf et superstitieux. Pourtant, le personnage de Kirikou n'est pas désagréable, même si certaines de ses attitudes sont le miroir de l'enfant roi d'aujourd'hui. Cependant, son caractère intrépide et sa soif de connaissance séduisent. Et c'est quand il évolue loin du village, enfin, dans une quête atypique, que le film devient moins indigeste, enfin débarrassé de ses clichés d'un autre âge, avec ses décors de nature rendant hommage au Douanier Rousseau et ses rencontres avec les animaux, dont une séquence magnifique avec des rats palmistes.
Ocelot dit ne pas vouloir prendre les enfants pour des crétins. Cependant, il se croit obligé d'adjoindre à ses images la voix off du petit héros expliquant ce qui se passe à l'écran, histoire que les 3-5 ans ne soient pas perdus par l'intrigue. Il ripoline aussi l'image du viol via une métaphore assez pataude que la résolution finale simplifiera encore un peu plus, faisant de la sorcière, souffrance instantanément évaporée, blessure qui n'a jamais eu lieu, une femme soumise à marier, deux pas derrière un Kirikou devenu adulte. Au moins fera-t-il faire des économies au village en lui épargnant l'achat de caisses de Biactol pour soigner son acné...
Lors de la promotion de Kirikou et la Sorcière, en 1998, Ocelot jurait ses grands dieux qu'il ne cèderait jamais aux sirènes du marketing et que son petit héros resterait à jamais enfant unique. Depuis, deux petits frères sont nés, mis à la portée du plus jeune âge. Il dit que le public lui a réclamé à cor et à cri et qu'à force d'être seriné, il a cédé. Il oublie juste de dire qu'il ne faut jamais cracher sur un peu de flouze facile et ainsi capitaliser sur une base non négligeable de fans, devenant ainsi une marionnette de l'industrie qu'il dénonçait pourtant.
Ocelot, à cette même époque, ne cessait de cracher sur l'industrialisation et le manque d'originalité qui, selon lui, grangrénaient Disney, décrivant la souris comme un vampire assoiffé de dollars, au détriment de la qualité qui, bien sûr était l'apanage des Français. Qualité dont il n'oubliait pas, au passage, de se faire le porte-étendard. L'art de tirer la couverture à soi... Force est de constater cependant que l'originalité de ses opus s'est éteinte, et la standardisation de ses oeuvres patente, se reposant sur son nom internationalisé (?) comme une vulgaire marque, ainsi que sur celui de sa licence fétiche. Tiens, on retombe sur nos pieds, en parlant de fétiches...
Dire que le voisin a une paille dans l'oeil alors que l'on n'a pas retiré la poutre dans le sien, voilà qui ne manque pas de sel.
Pour tout vous dire, j'ai honte de ne pas avoir aimé le film et de ne pas confirmer l'enthousiasme général. Je suis peut être passé à côté pour la deuxième fois. Je l'avais vu il y a longtemps et voulais lui laisser une seconde chance. Réservez-moi vos tomates les plus pourries et vos tombereaux d'injures. Faîtes pleuvoir les dislikes. Faîtes comme Sandrine Bonnaire avec Voici et versez devant ma porte quelques tonnes de fumier. Désabonnez-vous, je l'aurais bien mérité.