Mais mais mais... Pourquoi certaines critiques cherchent absolument à rentrer dans un débat qui prend la forme "en vrai Ocelot il a été gentil avec les Africains ou pas?". Je suis navré, mais c'est vous qui racialisez le plus le film et les thèmes qu'il aborde! Grosso modo on a quoi? On a un héros-enfant qui refuse de croire les explications que les adultes se sont répétées et cherchent à comprendre pourquoi. On a un sage dans la montagne qui sait très peu de choses, mais qui en apprend beaucoup plus que tous les villageois qui savent. On a une mère qui craint pour son enfant, mais lui fait confiance et lui donne les clés de son développement. Grosso modo on a une structure de récit initiatique dans un conte, avec de très beaux messages.
Je suis le premier intéressé par les questions de genre, les questions raciales et tout ce qui a émergé des cultural studies et de la littérature post-moderne (appelez ça comme vous voulez), mais à condition qu'on en fasse pas de la philosophie de comptoir! Karaba qui se transforme en bonne femme à marier? D'une certaine manière oui, un conte se conclut traditionnellement par une évolution du héros : Kirikou devient un homme après avoir affronté des épreuves qui l'ont transformé. Or, un enfant sait très bien que quand on devient adulte, on a tendance à sa marier, c'est un symbole super reconnaissable qui différencie l'adulte de l'enfant. Toutefois, tu noteras avec quelle précaution Ocelot a traité cette question. Plus qu'un mariage - dont vraiment tout le monde se fout - c'est surtout l'idée que Kirikou refuse de revenir au village sans réintégrer Karaba dans la communauté. Bon sans oublier que Karaba a été exclue parce qu'elle a été victime d'un viol symbolique ce qui pose pleins de questions très intelligentes sur la violence sociale. Pourquoi exclure Karaba qui n'a fait que souffrir? Le mal ne se nourrit-il pas de l'exclusion et vice-versa? Inflige-t-on parfois le mal par peur de revivre une expérience traumatique?
Cependant, il ne faudrait pas oublier que cette oeuvre est un conte. Kirikou est la figure de la sagesse, c'est un modèle, qui n'a d'ailleurs de sens que parce qu'il cherche à comprendre pourquoi, parce qu'il reste l'intelligence en permanence en éveil comme le dit son grand-père. Les villageois représentent les travers des hommes, nos défauts à nous, que ce soit des défauts d'enfants ou des défauts d'adultes. A côté de ça, il y a deux personnages, la mère et le grand-père qui sont eux des adjuvants. En dehors de l'histoire, ils ne servent qu'à faire avancer le héros dans sa quête et sont une sorte de lien entre le village et Kirikou. Voilà, un conte ça a un schéma actanciel simple. A l'inverse d'un roman où chaque personnage est complexe, développé et réaliste, un conte incarne chacune des fonctions nécessaires à son récit dans un personnage ou dans un groupe de personnage (une seule méchante, un groupe d'adjuvants de la méchante qui agit sous la contrainte etc.). Alors une bonne fois pour toute : oui les villageois sont cons, non ce n'est pas parce qu'Ocelot est raciste, mais parce que c'est un conte. Je sais pas c'est comme dire que Perrault (ou Grimm je sais plus) attaque les riches dans Cendrillon parce que le Prince est pas suffisamment intelligent pour reconnaître celle avec qui il a dansé.
Ce film ne parle pas d'Afrique ou de la condition africaine de l'homme moderne, il en utilise juste les mythes ce qui est déjà salutaire dans un climat culturel très eurocentré. Ce film n'aborde même pas la question du racisme une seule seconde. Ce film est plutôt très bienveillant avec les femmes, qu'elles soient villageoises ou sorcières, elles savent vivre sans les hommes et quand elles sont méchantes, elles le sont parce qu'elles souffrent. Ce film nous invite juste à avoir l'intelligence toujours en éveil, à ne pas nous fier aux apparences et à ne pas reproduire des schémas de pensée lorsqu'ils n'ont aucune autre base qu'eux même. Ce film est une merveille, il a un rythme reposant, il est poétique, il est beau et il nous montre des représentations de personnages (pas des figures hein, c'est des archétypes classiques de conte) que vous verrez pas ailleurs.