Raoul Ruiz évite méticuleusement le biopic mécanique mêlant vie et œuvre et égrenant un catalogue imposé d'épisodes et de tableaux. Fi de tout cela ! Bien au contraire, il se veut avant tout morceau onirique ; une klimtomanie tanguant entre rêve et réalité, entre désirs et miroirs, entre Vienne et Paris, entre tableaux et amantes. A défaut d'une plongée dans le passionnant milieu de la Sécession Viennoise, on imaginerait alors une contemplative apnée dans sa peinture, ce qui sera en partie le cas sans non plus pousser le concept à son paroxysme comme le fait le tout récent Le Moulin & la Croix avec Pieter Brughel.

Le film se déroule en 1919, Klimt est sur son lit de mort. La pellicule est donc une lente hallucination sur les rivages du Styx, une errance neurologique dans ce qui semble être une Vienne de toc, décor de théâtre où les lieux et le temps se condensent et se chevauchent, reliés entre eux par les ponts de la mémoire que sont les miroirs. Déambulation kafkaïenne à la manière du Procès de Welles. Le personnage de Méliès y apparaît comme prestidigitateur, demiurge d'un cinéma archaïque encore basé sur l'illusion et des doubles semblent surgir dans cet univers paranoïaque. Le peintre, interprété par un Malkovich à la fois brutal, rocailleux et suave se perd dans cet espace non-euclidien mais ne se perd jamais lui-même. Bien que ces thématiques soient exaltantes elles restent cependant bien convenues.

Par-ci par-là explosent des images tout à fait klimtesques, des fulgurances visuelles sous une virtuosité technique indiscutable. On retrouve également son sens poussé du décor et des couleurs : bleu soyeux des murs, beiges satinés des modèles dénudés, rouge profond des tentures d'un bordel, or byzantin de panneaux décoratifs japonais. Pourtant, plus étouffe-chrétien que viennoiserie, la réalisation est surchargée d'effets et d'artifices dont la plupart sont tout bonnement ridicules : plus que dérégler les sens, ils agacent. Et ce malgré la glose pédante du cinéaste dans ses entretiens sur l'effet qu'il a voulu rendre.

Au final, de la fin de vie de Klimt demeure une chronologie voilée de ses tableaux en toile de fond mais surtout il reste ses relations nombreuses et ambigües avec les femmes, toujours sensuelles dans leurs robes riches bien que le plus souvent totalement nues. Plus particulièrement, s'instaure un jeu de séduction avec la double, voire triple, "Léa de Castro".


Si l'intention de ne pas faire une biographie pédagogique mais de présenter un Klimt fantasmagorique par le rêve était louable, cette fable viennoise paraît malheureusement en grande partie manquée. Malgré de bonnes idées et un visuel maîtrisé, "Klimt", à regret, est un bel objet froid et hermétique qui ne parvient pas à captiver ou à émouvoir. Ni biopic sobre ni tableau animé.
Nushku
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le 26 janv. 2012

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Nushku

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