Koan de printemps est un film puissamment esthétique, réalisé par un Français doublement nommé, Marc-Olivier Louveau ou Lou Ma Ho, signe de son double enracinement culturel et, pour ainsi dire, vital. Autre signe : le vif succès remporté en Asie par ce film, qui se voit lauré dans nombre de festivals, notamment au Tibet. Distinction qui vaut validation, quant à la manière dont Marc-Olivier Louveau aborde ici un système culturel dont il n'est pourtant pas originaire.
Tout, ici, est placé sous le signe de la beauté, depuis les paysages - les brumes sur le lac Ba Bê, qui ne sont pas sans rappeler certaines humidités flottant sur la Seine et saisies par le pinceau bleu de Monet - jusqu'aux pensées des personnages valorisés, en passant par les visages, sereins ou plissés, mais tous si expressifs que le regard s'attache à eux comme à un théâtre fascinant et riche en rebondissements. Or cette beauté généralisée ne relève pas du hasard, elle ne se contente pas d'être un choix esthétique. Faisant sienne la pensée chinoise, ce film reflète l'idée que, à la différence de représentations occidentales souvent basées sur la dichotomie, il n'y a pas de coupure ontologique entre le concret et l'abstrait, l'un reflétant l'autre et réciproquement, en une continuité fluide et infinie. Ainsi la danse de la jeune fille bientôt choisie par le maître d'armes : jusqu'ici cantonnée par son père et ses frères au rôle de Cendrillon, elle laisse s'exprimer les grandes qualités morales et intellectuelles qui sont en elle, ne serait-ce que dans sa manière de balayer une pièce en créant une véritable chorégraphie ou des préparer un repas avec des gestes de danse.
L'un des attraits du film est de ne pas nous enfermer dans cette circulation infinie et de savoir également, par contrepoint, jouer des contrastes. Ainsi la lenteur et la réflexion qui imprègnent la narration peuvent se trouver soudainement rompues par une grande vivacité des mouvements, le pacifisme fondamental peut se muer en l'efficacité radicale qui séduit tant le spectateur dans un film d'action : la fragilité vénérable du maître d'armes devient force presque surnaturelle lorsque celui-ci se voit agressé et met en déroute ses assaillants d'un simple petit mouvement du long bâton qui lui sert d'appui dans sa marche, mais peut soudain retourner contre les brigands la violence dont ils prétendent faire usage.
On perçoit ainsi que l'apaisement apparent n'a rien d'émollient et procède au contraire de la concentration d'une force et de la pensée. Au long de ce cheminement, M.-O. Louveau élabore un beau film sur la transmission et sur le traitement des femmes au sein du confucianisme. Itinéraire qui n'est pas sans rappeler celui qui fut suivi par le grand film chinois, Le Roi des masques, qui partageait certaines de ses préoccupations.