Krysar, le joueur de flûte de Hamelin par Adobtard
C'est suite aux recommandations combinées et répétées de mon estimable camarade Garcia et de mon non moins estimé camarade Surestimé que je me suis lancé dans ce petit joyau d'animation Tchècoslovaque. Et à l'évidence grand bien m'en a prit, car je n'avais pas vu oeuvre de cette qualité dans ce domaine depuis bien trop longtemps. Et pourtant, j'étais relativement décidé à ne pas l'apprécier suite à la boite que venais juste de mettre le Garcia sus-nommé à un film que je considère comme un sommet de son genre. Mais alors vraiment, pas moyen de faire autrement, et force est de constater que celui qui descendra en dessous du 8 sera passé à côté d'une grande partie du film, car c'est réellement un trésor.
Attention, spoil puisque je vais parler de l'histoire (bah oui, forcément...). Vous la connaissez tous cette vieille légende Allemande. Synopsis : "Au Moyen-Age, dans une ville allemande où règnent la méchanceté, la jalousie et l'avarice... Les rats envahissent soudain les sous-sols, puis les maisons, mangent la nourriture et volent les bijoux. C'est alors qu'un mystérieux personnage, joueur de flûte, surgit de nulle part et propose ses services aux habitants, promettant de les débarrasser des rats en échange d'une récompense..."
Sur l'histoire, Jiri Barta ne change absolument rien, et livre une adaptation des plus fidèles. Ce qui n'est pas pour nous déplaire, l'histoire en elle même étant déja complète, solide, bien foutue, etc. (Note de correction par le déja mentionné collègue Surestimé : "En général, ce sont les enfants de la ville qui se retrouvent victimes, et pas de la même façon. Je suis donc enclin à attribuer à Barta cette modification majeure, qui place le compte dans la lignée des histoires de métamorphoses révélant la véritable nature des êtres humains." Correction de taille, et qui change encore la perception de la chose et le résultat final. Si j'étais ordonné d'ailleurs je déplacerais cette partie dans la section "symbolisme" située un peu plus bas) Le génie du génie opère à un autre niveau. L'animation, et oui, est juste splendide. D'une originalité sans pareille, visuellement jouissive au possible, le film est presque entièrement fait avec des marionettes en bois, magnifiques, et sans avoir d'expérience dans le domaine je ne pense pas me tromper en disant que ce dut être un travail de titan. Les décors sont renversants. Mais ce qui m'a particulièrement séduit, c'est la vision cubiste des choses qu'à le réalisateur. Héritié de Picasso, Braque, et compagnie, ainsi peut-être d'une légere touche d'expressionisme, toute son oeuvre est composée de lignes rectilignes, droites, formants des angles improbables (les portes en forme de trapèze...), les marionettes sont sculptées avec un relief incroyable, irréaliste, et qui pourtant rend à merveille l'expression de ses personnages, leurs émotions... Au bout de dix minutes grand maximum on est conquis et l'on ne peut plus qu'écarquiller les yeux devant une telle originalité. De plus Barta se paye le luxe, pour contraster son oeuvre plus encore, d'intégrer quelques plans réels de temps en temps, on pense notament aux rats, à ce gros plan effrayant et en même temps captivant du rat noir qu'il insère toujours fort à propos, ou lorsque Krysar envois tout les rats se noyer dans la rivière, les rats qui tombent dans l'eau...
Pour revenir aux influences cubistes de l'oeuvre, il me fallait toucher un mot de l'architecture, des décors, de la ville et du chateau.Sensationels, cela va sans dire. Jiri Barta installe des dimensions completement folles, des rapports irréels, il créé une ville et un monde imaginaires, inquiétants et incompréhensibles, qui pour la ville m'a très vaguement rappelé l'architecture des ruelles des quartiers d'habitation des villes maghrébines, avec des ruelles étroites ou l'on aurait peine à passer à plus de deux de front, avec des batiments de chaque côté qui semblent s'élever à perte de vue en étant tout sauf perpendiculaires au sol de façon à ce qu'on ai l'impression qu'un peu plus et ils se rejoignaient à leur sommet. Les dimensions en effet n'obeissent pas au réel, et un pendant de mur qui un instant était de grande taille peut devenir gigantesque par un effet de recul, ce genre de choses.
Le personnage du joueur de flûte aussi est fabuleux, c'est le cas de le dire. Personnage très inquiétant, Jiri Barta le rend finalement assez ambigu, ce qui n'est pas une propriété de l'histoire. Pour ce faire il l'affuble d'une gueule de méchant, vraiment, le fait avancer avec une démarche peu rassurante, et le pauvre gentil est déja devenu source de cauchemars pour les potentiels bambins qui regarderaient cette oeuvre. On a vraiment du mal à statuer sur sa qualité de bon ou de méchant (si comme moi l'on ne se souvient plus de la fin), et l'on en vient à sentir un coup fourré, quand finalement ce n'est qu'une juste vengeance qu'il s'offrira.
A noter que le film est intégralement muet, ou plutôt sans paroles inutiles (car les personnages font d'hilarants babillements et autres yahourteries, et l'on a le droit à une très agréable utilisation de la musique), ce qui ne gène pas une seule seconde la compréhension de cette oeuvre, l'histoire est clairement déroulée, tout à fait maitrisée dans sa narration, et le réal ne s'embarasse pas de mots inutiles, donnant encore plus de poid aux images et à son discours. On trouve aussi un symbolisme sous-jacent très étonnant, et encore une fois assez improbable, innatendu dans cette oeuvre. Un exemple simple, lorsque les rats sont dans leur folie destructrice, on en voit un qui, creusant un tunel, fait sa sortie en plein milieu du blason de la ville, détruisant le bouclier qsui se trouve au centre... Et le film fourmille si j'ose dire d'exemples de la sorte, plus ou moins aisés à voir.
Il y a donc plusieurs niveaux de lecture dans cette oeuvre finalement plus complexe qu'elle n'y parait de prime abord. C'est initialement à l'évidence un film pour enfants (encore que, le film est quelques fois un peu glauque et doit sembler très peu rassurant de l'oeil d'un marmot), mais il saura séduire les plus grands pour toutes les raisons déja énoncées, qui en font une oeuvre complète et un sommet de l'animation, à ranger aux côtés du Roi et l'Oiseau, du Roman de Renart, des plus grands Miyazaki et Disney (si si !)
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