Sur le fond, ce documentaire en deux parties est absolument passionnant. On découvre avec stupeur un mouvement tristement mythique qui a bien plus marqué les mentalités américaines qu’on aurait pu l’imaginer (en tout cas moi !) On tombe des nues en découvrant l’immense poids politique qui fut le sien pendant les années 20. On est ébahis devant le ridicule absolu des tenues de leurs membres et la dénomination de leur chef : « Grand sorcier impérial »… On est sidéré par la bêtise, la haine et l’ignorance crasse. Ce récit historique nous permet de mieux comprendre l’importance prise par le mouvement « Black Lives Matter » aujourd’hui mais aussi, à l’inverse, celui de QAnon qui partage la même idéologie d’extrême droite que le Ku Klux Klan.
Les archives utilisées sont édifiantes, le montage et le texte sont percutants, la démonstration semble parfaite.
En réalité, c’est bien sur la forme que le bât blesse. En empruntant méchamment aux codes de narration à l’américaine, le documentaire de David Korn-Brzoza, se fourvoie dans le sensationnalisme et l’action à outrance. La musique, omniprésente, est digne d’un film hollywoodien. Que dire de la voix du documentaire qui semble parfois donner dans la dramaturgie d’une bande annonce ?
Derrière cette mise en forme « alléchante » se cache bien sûr une volonté d’accrocher le spectateur et de ne plus le lâcher jusqu’à la fin, au détriment d'une approche plus respectueuse des actes décrits (les effets de musique ou de montage pour renchérir sur l'atrocité des faits me sont souvent apparus très déplacés) mais aussi plus à l'écoute des victimes. Car, très curieusement, le point de vue des noirs est très peu présent, en particulier dans le premier épisode. Les morts s’accumulent comme s’ils n’avaient aucune identité. Des noirs parmi d’autres en somme, comme si seul le choc du tragique suffisait pour imprimer nos cerveaux.
La narration étant centrée exclusivement sur les activistes du Ku Lux Klan (même s’il s’agit bien entendu de les condamner), on ne sait rien ou très peu des réactions de la population noire à l'époque. Comment a-t-elle été impactée ? Socialement ? Psychologiquement ? Emotionnellement ? Raconter une histoire de terreur exercée par des blancs sur des noirs sans vraiment chercher à comprendre comment ces derniers l'ont vécue, c’est assez fou quand on y pense !
Il faut attendre le deuxième épisode pour voir apparaître deux témoins noirs (je ne parle pas des historiens) mais ils n'interviennent que pour éclairer les circonstances très factuelles d’un attentat... On ne saura donc toujours rien de l’état d’esprit de leur communauté dans les années 60 et même plus tard. Une situation d’autant plus surprenante que, du début à la fin des deux épisodes, un ancien membre de l'organisation raciste intervient régulièrement dans le film… Son témoignage a beau être pertinent, aucune approche similaire n’est proposée au spectateur pour prendre en charge le point de vue des victimes (ce que l'excellente série "Les Routes de l'Esclavage" avait parfaitement su faire).
Bref, un documentaire porté par une histoire très forte (j'aurais bien mis 8 ou 9) mais avec des choix de réalisation déroutants (5 ou 6 pour moi). A trop vouloir donner de gage à une narration dans l'air du temps, le réalisateur, aussi brillant soit-il, en oublie de prendre des précautions historiques, et même humaines, élémentaires. Cette « américanisation » du documentaire, flatteuse à l’image, n’en reste pas moins préoccupante d'un point de vue éthique.