Heaven years in Tibet
Dans la filmographie contrastée et foisonnante de Scorsese, Kundun peut se présenter comme l’un des projets les plus académiques : désireux de se renouveler après les violents Affranchis et Casino,...
le 19 oct. 2016
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Dans la filmographie contrastée et foisonnante de Scorsese, Kundun peut se présenter comme l’un des projets les plus académiques : désireux de se renouveler après les violents Affranchis et Casino, le cinéaste explore d’autres terres. L’expérience du Temps de l’innocence lui déjà donné raison : d’autres registres lui permettent une expression nouvelle qui gagne résolument en ampleur.
Kundun est une aventure des plus exotiques : Scorsese y aborde une civilisation qu’il connait peu (et qu’il a découverte par le biais de sa cinéphilie), une religion qui n’est pas la sienne, et une esthétique nouvelle, celle de la nature. Biopic historique, Kundun concentre tous le cahier des charges hollywoodien, et se révélera pourtant une réussite indiscutable. Le fait que le Dalaï Lama lui-même ait participé à son élaboration en donnant des indications sur les lieux, les coutumes ou les décors, ou en racontant certains des cauchemars qui sont mis en image (le massacre des moines, les visions, le sang dans les bassins…) l’explique sans doute en partie.
L’initiation à ce statut de sainteté du Dalaï Lama et l’histoire chaotique que sera le destin du Tibet face à la Chine commence à juste titre par le regard de l’enfant. En caméra subjective, insistant sur l’immensité et la démesure des lieux, cet être qui découvre est le relais idéal au cinéaste qui saisit dans la première moitié du récit toute la nouveauté d’un monde et l’émerveillement de la découverte. Le folklore, les rites, l’humanité, surtout, à hauteur d’individu, d’une philosophie qui trouve bien entendu des résonances avec le christianisme qui lui est cher, notamment dans les concepts de la compassion et de l’amour.
C’est probablement là que se loge le pouvoir de fascination transmis au spectateur : Scorsese prend le temps de la contemplation, aidé en cela par deux éléments fondamentaux : la photographie, d’abord, absolument sublime, qui travaille sur les textures (étoffes, argenterie, dorures, diversité des couleurs propres au décorum tibétain, pierre) et les clair-obscur des temples opposés aux plans d’ensemble sur les massifs montagneux ; et la musique de Philipp Glass, à la fois audacieuse par sa modernité et en totale adéquation avec le sujet traité. Un certain nombre de séquences sur le principe du sommaire, soulignées par la rythmique minimaliste propre au compositeur, renvoie au documentaire Koyaanisqatsi : on y retrouve le même pouvoir hypnotique, et la même mélancolie face à la beauté.
Car Kundun traite autant de la découverte par un cinéaste américain d’une civilisation séculaire que de la mise en danger de celle-ci. Le mandala, qui assure la structure même du film, construit avec minutie avant sa dissolution, offre la symbolique de cette splendeur fragile et de ce concept d’impermanence cher aux bouddhistes.
On aurait pu craindre la carte postale exotique offerte par Hollywood, il n’en est rien. L’humanité des personnages, l’absence de stars et d’occidentaux au casting, (à un regret près, le fait de leur imposer l’anglais…) l’humour de certaines séquences d’enfance attestent d’une empathie réelle. Le cinéaste fait sien un monde étranger par la thématique du regard, omniprésente : c’est la longue vue que le Dalai Lama braque sur cet univers progressivement familier, et qu’il sera contraint, dans le dernier plan du film, à scruter depuis l’autre côté de la frontière ; c’est la présence des projecteurs, et de la modernité qui apparaît dans Lhassa, et qui n’avait pas besoin de la contrainte violente de la Chine pour advenir. Ces éléments aboutissent à un dialogue où se mêlent empathie et respect, et cette consciente responsabilité du cinéaste de donner à voir un monde qui n’existe plus.
En cela, le parti pris d’osmose avec le personnage principal désactive les attentes possibles du spectateur en matière de film historique et épique : non seulement par son choix radical de la non-violence (ne donnant, à l’image, aux Chinois que la parole, à deux visions près), mais aussi parce que le Dalaï Lama est toujours celui à l’écart du monde : reclus dans son palais, condamné à l’exil, il est celui à qui on dit ce qu’il se passe sans qu’il soit jamais sur le terrain, et celui qui, aujourd’hui, parcourt le monde pour maintenir la mémoire et l’actualité d’un peuple bâillonné.
Film historique doté d’une âme, Kundun réussit là où La dernière tentation du Christ révélait ses limites : la synergie de la compassion, la fascination visuelle et l’ampleur de la reconstitution lui confèrent un souffle véritablement émouvant.
(8.5/10)
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le 19 oct. 2016
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