Heaven years in Tibet
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"Kundun" s'ouvre sur la confection d'un mandala, oeuvre éphémère réalisée par les moine tibétains à l'aide de sable coloré. Tout le film que le spectateur va vivre comme une expérience spirituelle se résume dans ces gestes à la fois simples et empreints d'une grande signification religieuse. En effet, le président du récent Festival de Cannes ne réalise pas une biographie du dalaï-lama, mais s'attarde au conflit qu'il livra avec lui-même dans les années quarante.
Pour ce faire, le cinéaste commence par la tendre enfance du futur leader politique et spirituel tibétain. Par des images d'une élégante lenteur et une musique omniprésente qui oscille entre lyrisme et contemplation, "Kundun" fonctionne, au début, comme n'importe quel film du maître de "Little Italy". Scorsese suit son personnage qui découvre le monde et par là même invite le spectateur à cette initiation. La mise en scène participe directement à l'émerveillement de ce très jeune enfant qui laisse derrière lui sa famille et son environnement. Sa mise à l'épreuve est filmée comme un jeu. Un moine présente à l'enfant des objets à double parmi lesquels il doit choisir ceux ayant appartenus à l'un ou l'autre de ses prédécesseurs. Comme il est censé être Kundun, la réincarnation du Bouddha de la Compassion, il résout l'énigme avec une déconcertante facilité. Le très jeune acteur choisi par Scorsese s'affranchit de cette tâche en faisant passer à l'écran une espièglerie maligne et déterminée. De plus toute la séquence se passe de nuit et Scorsese la présente comme une sorte de cérémonie organisée en catimini, pour renforcer l'aspect mystérieux de cette religion.
Puis, commence le dur apprentissage de la vie monacale. Là encore, Scorsese utilise son héros comme une longue vue tendue au spectateur, pour l'inviter à briser les secrets de la cité interdite. N'ayant pas obtenu l'autorisation de tourner au Tibet, il a recours intelligemment et brillamment aux techniques d'effet spéciaux les plus pointus pour reconstituer fidèlement le Pothala de Lhassa. Durant cette partie, il montre toujours un enfant, mais un enfant qui apprend à devenir ce pourquoi il a été choisi. Il alterne les moment de détente (Kundun se met à rire pendant une séance de prière car il surprend un rat boire dans un calice) et de réflexion (Kundun passe par tous les stades de la vie spirituelle avec beaucoup de sérieux). Cependant, la caméra se stabilise de plus en plus et les plans commencent à serrer le personnage de plus près: on pénètre son esprit.
D'un coup l'écran prend la couleur rouge du drapeau chinois. C'est l'époque où les problèmes avec la Chine font leur apparition. Scorsese a recours au techniques de montage chères à Eisenstein, à savoir l'alternance de plans larges et de menus détails, comme des souliers ou des accessoires anodins. Malgré qu'on essaie de lui occulter ces événements, Kundun se sent devenir adulte et prend sur lui bon nombre de décisions politiques. Dans ces moments d'adolescence, le cinéaste n'octroie qu'un instant de distraction à son héros: la découverte du cinéma. Dans une séquence empreinte de magie cinématographique et d'une grande cinéphilie, Scorsese utilise un court métrage fantastique de Mélies dans lequel un diable fait apparaître et disparaître toutes sortes de choses, y compris des femmes. Cette scène montre magistralement que Kundun va se retrouver devant des choix draconiens en acceptant ou en laissant de côté certains de ses principes face à la menace chinoise.
Arrive finalement l'âge adulte du dalaï-lama. La mise en scène devient littéralement mystique. Scorsese se permet les métaphore les plus intelligentes pour matérialiser l'invasion chinoise. Le dépècement du cadavre du père de Kundun par des vautours annoncent le démantèlement du pays. Le bain de sang de cette sombre page du Tibet se résume à un jet de sang abondant et puissant dans un bassin immaculé. Et pour transcrire la solitude de son personnage, Scorsese réalise un plan d'une force et d'une beauté exceptionnelle: on le voit seul rescapé d'un massacre de moines, trônant sur une montagne de corps ensanglanté.
Et c'est la fuite. Là, le réalisateur montre un être traqué, faible, mais déterminé à conserver tout ce qui fait l'originalité de son pays. Toute la fuite est entrecoupée par une séquence de confection d'un mandala. Mais Scorsese filme cette action lente en soi en accéléré et utilise le ralenti lors de sa destruction pour nous faire comprendre que la création du Tibet fut rapide mais que son agonie sera lente et douloureuse.
Grâce à ce chef-d'oeuvre, Martin Scorsese prouve qu'il n'est pas seulement le spécialiste des gangsters et de New-York, mais l'un des rares cinéastes mystiques, si ce n'est le seul.
Créée
le 11 oct. 2010
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