Il est préférable, avant de palabrer sur le film en lui-même, de parler des nouvelles qu'il adapte : À leur origine se trouve Lafcadio Hearn, né en 1850 d'un père irlandais et d'un mère grecque, ce bonhomme n'a eu de cesse de se trouver un pays où il se sentirait chez lui.
Voeu exaucé lorsqu'il voyage au Japon, tombe amoureux de l'archipel, décide de se marier avec une fille de samouraï et de prendre la nationalité japonais sous le nom de Yakumo Koizumi.
Journaliste et titulaire d'une chaire de littérature anglaise (à laquelle lui succédera, à sa mort, le fameux Natsume Soseki), il commence à noircir tout plein de pages au nom de son intérêt pour la culture et le folklore japonais, aidant l'Occident à découvrir ces bonnes choses.
Son oeuvre la plus connue est le recueil Fantômes du Japon, et Masaki Kobayashi, deux ans après la tuerie absolue que fut Harakiri, décide d'adapter quatre de ses histoires à l'arôme surnaturel dans un film à sketchs aussi baroque qu'il est jusqu'au-boutiste.
Tout, absolument tout, dans ce film, est conçu pour participer à créer une atmosphère aussi pesante que fascinante, à la manière de notes d'une partition, qui, mises bout à bout, forment un tout supérieur à la somme de ses parties. On pense de prime abord à sa réalisation très étudiée, qui fait la part belle aux plans fixes et aux travellings lents et fluides, aux cadres impeccables et d'un calme trop serein pour être rassurant, mettant en image le surnaturel des lieux, dont les décors totalement artificiels et réalisés en studio accroissent la beauté onirique. En témoignent ce ciel nocturne parsemé d'yeux, témoins muets de la fragilité des mortels, cette forêt où la neige surabonde, ou ce cimetière envahi par la brume et les feux follets.
Réalisation à l'image du reste du film, qui installe l'inquiétante étrangeté dans la durée, la longueur, au fil de ses scènes d'une beauté picturale exacerbée par le choix de Kobayashi de filmer en couleur, invoquant des êtres issus d'un au-delà typiquement nippon, et qui auront souvent pour tâche d'éprouver la moralité des mortels au sein d'histoires très émouvantes.
Et comme si ça suffisait pas, les musiques discrètes mais percutantes de Toru Takemitsu font plonger encore d'un cran dans l'irréel.
Tous ces éléments culminent dans ce qui est pour moi le paroxysme du film : l'histoire d'Hoïchi Sans-Oreilles, moine aveugle jouant du luth, qui sera invité par des individus qu'il ne peut pas voir à raconter pour eux, sur fond de musique à cordes (sérieux, écoutez-moi ça), la destruction du Clan des Heiké. Musique, ambiance, histoire, réalisation, tout est poussé à son plus haut niveau dans ce conte rappelant le mythe d'Orphée (génie musical incompris des vivants, qui a une relation particulière avec l'au-delà, tout ça tout ça), et justifiant à lui seul le visionnage de l'intégralité du film.
Certains diront "long et chiant", moi je dis "lent et contemplatif". Parce que parfois, faut savoir prendre son temps, surtout devant ce film, qui nécessite un visionnage solitaire et sur un grand écran pour en apprécier au mieux la substantifique moelle, hein, et pas sur un portable, avec des écouteurs tout pétés, au beau milieu du brouhaha d'un MacDo et entre deux bouchées de Big Mac.
Petit bonus : Un Entretien avec Guillermo Del Toro, à propos de Kwaidan :
Et un album de Dungeon Synth/Dark Ambient inspiré par la musique traditionnelle japonaise, sur le folklore nippon.
Note : 8,5.