L'Âge d'or
7.1
L'Âge d'or

Film de Luis Buñuel (1930)

Au vu des ravages générés par Un chien andalou, bombe surréaliste posée sur l’année précédente, on pourrait presque considérer comme lisible ce nouvel opus de Buñuel. Une certaine linéarité permet en effet de déceler un squelette de récit, au cours duquel les circonstances vont s’acharner à séparer des amants fusionnels, dont la passion réciproque va métamorphoser les sens et la perception.


La thématique de l’amour fou est bien entendu un déclencheur de prédilection chez les surréalistes, et va nourrir ici le grand premier motif de scandale de l’époque. Rappelons que le film fut interdit au bout de quelques projections, qu’il ne retrouva la faveur des salles qu’un demi-siècle plus tard, et que Buñuel fut contraint à l’exil et du attendre près de 30 ans avant de pouvoir à nouveau tourner au sein du cinéma français. Scandale, donc, par la manière frontale, poétique et fiévreuse d’aborder le versant charnel de l’amour, à travers des motifs qui deviendront récurrents dans l’œuvre du cinéaste, que ce soit dans la prééminence des objets fétichisés et érotisés (les cordes, la statue, les manches…), des fantasmes traduits de manière figurative à l’image (une publicité devenant ainsi un sexe), ou du rapport à la matière, comme cette fange associée à une lave en fusion pour illustrer les pulsions des protagonistes. Scandale, encore, par le traitement résolument provocateur réservé à la religion, dans un festival blasphématoire qui se permet les associations les plus audacieuses, comme celle d’un pervers sadien incarné par une figure christique.


Buñuel pose ici les bases de ce que sera son cinéma, à savoir une mise en image stricte de l’audace, une entreprise de sabotage visant à destituer la sacralité des repères de l’ordre établi, que ce soit l’élite de la noblesse, le pouvoir de l’argent de la bourgeoisie ou l’injonction morale de l’Église. A l’inverse de ses collègues expérimentaux de l’époque (le formalisme soviétique d’Eisenstein et Vertov ou le réalisme poétique d’Epstein et L’Herbier), son radicalisme passe peu par la forme. Le montage, par exemple, est strictement exploité à l’association d’idée, permettant des collages qui sont thématiques et ne génèrent pas une syntaxe particulière. Les morceaux de bravoure de son film résident en des tableaux marquants, qui impriment la rétine de leur inspiration, mais pourraient tout aussi bien faire l’objet d’une fixité picturale ou d’une scène littéraire : un sapin en flamme chutant d’une fenêtre, des squelettes d’évêques sur les récifs, une charrue passant dans un salon mondain ou une femme suçant langoureusement les orteils d’une stature. Les expériences avec le son fonctionnent sur le même principe, au service d’un détournement du sacré ou pour une superposition d’un son appartenant à une autre scène que celle présente à l’écran, indication de fantasmes invisibles et pourtant omniprésents.


Si le caractère proprement scandaleux reste évidemment à recontextualiser, le film prend donc une dimension plus atemporelle dans le parti-pris qu’il manifeste quant à la forme cinématographique. La liberté prise avec les thèmes est peut-être d’autant plus forte qu’elle cherche à atteindre le plus grand nombre par une forme lisible, à laquelle le public est déjà familiarisé en 1930. La dernière partie du film, qui évoque le château des 120 journées de Sade, tisse ainsi un lien particulièrement fécond avec le film de Pasolini, Salo, qui fonctionnait avec une intention similaire : faire de l’image et du style non des points de départ menant à l’interprétation, mais des chocs frontaux sur la figuration de ce que peut être l’humain.

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le 26 janv. 2021

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Sergent_Pepper

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