"Ou bien vous appartenez à l'humanité civilisée, ou bien vous êtes de tout coeur avec Bunuel"
Critique tirée du livre "1001 films à voir avant de mourir".
(ATTENTION : SPOIL)
En 1928, un film totalement surréaliste tourné en deux semaines , "Un chien andalou", stupéfia l'opinion et ravit l'intelligentsia. Cela poussa le vicomte de Noailles à financer le premier long métrage de ses auteurs, deux jeunes espagnols installés en France: Luis Bunuel et Salvador Dali (le second se retira bientôt du projet, et même si son nom reste attaché au générique de "L'âge d'or", Bunuel en est bien le seul auteur.) D'après Bunuel, "L'instinct sexuel et la mort forment la substance du film. C'est un film romantique, réalisé dans une totale frénésie surréaliste."
"L'âge d'or" repose sur l'idée surréaliste de l'amour fou mais, au mépris sans doute des principes surréalistes, il possède sa logique narrative interne. Il s'ouvre sur un documentaire sur les scorpions (un film de 1912 auquel Bunuel a ajouté un commentaire scientifique). Un groupe de bandits faméliques s'échappent non sans mal de leur baraque, tandis que quatre évêques se livrent à d'étranges rituels sur une plage. Un fondu les montre ensuite réduits à l'état de squelettes. Débarque alors un groupe de personnages distingués venus honorer la mémoire des évêques, mais la cérémonie est interrompue par les gémissements érotiques d'un couple. L'homme est arrêté, et traîné par les rues. Plus tard, on se retrouve dans la maison de le femme et à une réception élégante dans le parc d'une villa, tandis que reprennent les amours du couple, interrompues de diverses manières. Des scènes de frénésie surréalistes mènent à la séquence finale, où les libertins sadiens se livrent à une orgie au château de Selliny. Leur chef n'est autre que le Christ.
De manière prévisible, le film suscita de violentes polémiques entre les surréalistes et les ligues d'extrême droite: celles-ci organisèrent des manifestations qui entraînèrent la quasi-destruction du cinéma, l'interdiction des projections par la police, et de profonds débats politiques et intellectuels. Henry Miller, par exemple, s'exprima longuement sur le film et son auteur: "Ou bien vous appartenez à l'humanité civilisée, ou bien vous êtes de tout coeur avec Bunuel. Et si vous êtes de tout coeur avec lui, vous êtes un anarchiste jeteur de bombes."
Suivant les principes surréalistes de "ne pas faire de l'art", Bunuel demanda à son directeur de la photo, Albert Duverger, des éclairages simples et classiques. Il rejeta la suggestion de Noailles de commander une musique originale à Stravinsky, préférant imaginer des collages incongrus, sur les images scabreuses, d'extraits romantiques (Wagner, Debussy, Schubert), et du son des rudes tambours rituels de sa ville natale de Calanda.
"L'âge d'or" a produit quelques-unes des images les plus marquantes de l'histoire du cinéma: les évêques momifiés, Max Ernst en bandit agonisant , la vache sur le lit dans une élégante villa bourgeoise, Lya Lys suçant l'orteil d'une statue, le visage dément de Gaston Modot, le Christ angélique et ses libertins épuisés de plaisir sur le pont-levis du château.
C'est un film qui existe hors du temps, dont le pouvoir de choquer demeurera intact.
[David Robinson]
http://www.senscritique.com/liste/Les_critiques_des_1001_films_a_voir_avant_de_mourir_avec_les/351166