Chloé est gardienne de musée. Elle observe les visiteurs qui observent avec curiosité les lieux, et contemplent les œuvres d’art. Elle fait même plus que cela, elle se mélange à tout cet environnement, pour devenir elle-même un objet de fascination qui attise le regard et les niveaux de lectures. Chloé, c’est un peu une mise en abime du spectateur : pendant que le personnage scrute, nous suivons pas à pas les déambulations d’une Marine Vacth hypnotique. Son visage angulaire, son corps frêle et longiligne, son allure d’amazone frigide, sa voix suave presque caverneuse, tout cela François Ozon l’a très bien compris. Marine Vacth est une œuvre d’art à elle seule.


Et L’amant double joue là, dessus, comme Jeune et Jolie l’avait fait. Mais de la découverte d’un émoi tentaculaire, L’amant double prend la forme d’une suite ombrageuse des velléités charnelles d’une femme aux abois, qui ne sait plus qui croire entre son mari tendre, timide et son miroir dominant et provocateur. Il y a quelque chose d’anxiogène dans L’amant Double, qui réussit à caresser son maniérisme presque érotique à son labyrinthe psychanalytique. On pense bien évidemment à Faux Semblants de David Cronenberg et puis un peu à Passion de Brian de Palma.


Mais là où ce dernier se noyait dans une sexualisation un brin cheap et ringarde, Ozon, lui, acidifie ses intentions pour accentuer la puissance sèche et charnelle de ses scènes de sexe. Parfois un peu balourd dans sa représentation du refoulement et sa différenciation des caractères, L’amant double saute sur ses entrefaites un peu grossières pour encore mieux plonger le spectateur dans le doute, éviscérer la force carnassière de son histoire et esthétiser à outrance l’ambivalence de la symétrie de son antre.


Car d’un point départ somme toute, assez évident et qui se révèle assez vite dans le film, Ozon multiplie les pistes, les symboles, les petites phrases pour déranger et inquiéter, amener le trouble dans nos certitudes. La thématique première de L’amant double, qui est celle du miroir, du mal et du bien, du refoulement et de l’intériorité, la soumission et la domination, est un fil rouge prépondérant sur le toute la longueur du film.


Du film sur le couple, on passe au thriller, du thriller on arrive à la plongée psychologique, au film mental, du rêve à la réalité et Ozon agence ces mélanges avec une grâce qui se mue parfois en grotesque assumé. Derrière sa mise en scène léchée et ses effets de style un brin surfait (comme cette première scène gynécologique), L’amant double se sert de la gémellité comme support narratif à l’avancée mystérieux de son récit mais surtout comme rempart fictif de son étude de caractère féminin qu’il avait déjà entreprise avec Jeune et Jolie, portrait qu’il intensifie d’une ambiguïté aussi extatique que moribonde.


On imagine sans trop de soucis que le coup de gueule de Jessica Chastain lors de la conférence de presse finale du festival de Cannes invectivait le film de François Ozon. Le film d’Ozon est comme une caresse un peu trouble, avec sa fantasmagorie aussi chichiteuse que percutante sur l’ambivalence du corps et de l’esprit féminin, avec sa liberté tenace et ses pulsions morbides comme pouvait l’être Elle de Paul Verhoeven ou Belle de jour de Luis Buñuel.

Velvetman
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le 9 juin 2017

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