Tergiversations amicalo-sentimentales et chassé-croisé amoureux

Devenant de plus en plus familier des films de Rohmer, je vois dans L'Ami de mon amie un parfait éventail des défauts et qualités de ses réalisations, lesquelles m'apparaissent exprimer tout un pan de l'esprit français remontant sinon à Mme de Lafayette, du moins à Marivaux.


Défauts ? C'est un film assez paradoxal, à la fois moderne et en même temps précieux, littéraire, plein de paroles, très écrit, intellectualisé, coupeur de cheveux en quatre, sans quasiment la moindre action, où les personnages ont souvent l'air de pédaler dans la semoule, font un pas en avant, un pas en arrière, puis un autre pas en avant. Un film où, quand elle existe, l'action se passe hors champ, est éludée. Un film agaçant, parce que quand une chose arrive, on a aussi le sentiment qu'il aurait pu se passer exactement le contraire ; où les filles pleurent "inexplicablement" au nom de principes qu'elles viennent de transgresser ou transgresseront un peu plus tard allègrement ; où les garçons semblent aussi ne pas trop savoir ce qu'ils veulent ni qui leur plaît, n'avoir aucun caractère, aucune personnalité affirmée, aucune vraie épaisseur, n'être que de charmants personnages échappés de l'imagination d'un Marivaux du XXème siècle.
Qualités ? C'est un film joli, joliment filmé dans des décors (intérieurs ou extérieurs) joliment choisis ; un film harmonieux, délicat, frais, peuplé de jeunes filles et jeunes gars charmants, habillés avec goût, portant des fringues chics-décontractées aux couleurs seyantes expertement assorties. Un film mettant en scène une jeunesse privilégiée qu'on ne voit presque jamais travailler mais qu'on imagine dotée de jobs bien rétribués, à moins que certains ne soient encore universitaires (et financièrement alimentés par leurs parents). Les protagonistes de l'histoire semblent n'avoir d'autres soucis que leurs problèmes sentimentaux... dont ils parlent dès qu'ils sont en tête à tête avec une personne de leur entourage immédiat.
Dans L'Ami de mon amie, on a l'impression que rien ne bouge et qu'en même temps, tout bouge sans cesse, qu'il n'y a aucune progression dramatique dans l'histoire, tout en pressentant qu'il y en a quand même une, que tout pourrait soudainement mal tourner ; l'impression que personne n'est sûr des sentiments de ceux qui l'intéressent (ou gravitent autour de lui ou d'elle), et pas davantage des siens propres. L'impression que tout tourne d'une façon tout à fait inattendue par rapport à ce qui était souhaité au départ, mais que, finalement, c'est très bien ainsi. Ces couples de jeunes gens flirtent, s'embrassent, semblent éprouver des sentiments amoureux réciproques, et pourtant, on a du mal à les imaginer au lit en train de faire l'amour, tant ils semblent charmants, sensibles, bien élevés, presque désincarnés. Il semble que très peu de place soit laissée au sexe dans les films de Rohmer.
Je conclus. Malgré un peu d'impatience en début de film (et même au milieu), j'ai pleinement goûté cette peinture délicieuse et spirituelle des tergiversations sentimentales d'un duo d'amies et l'espèce de chassé-croisé amoureux qui les occupe tout au long du métrage. Et j'ai trouvé Emmanuelle Chaulet, dans le rôle principal de Blanche, particulièrement charmante. Éric Viellard, plutôt mignon en Fabien, tire aussi son épingle du jeu. Les autres comédiens m'ont semblé un peu en dessous. Ainsi, Anne-Laure Meury, si ravissante à 16 ans dans La Femme de l'aviateur, est à peine reconnaissable en cheveux courts (et 6 ou 7 ans plus tard) dans le rôle d'Adrienne.

Fleming
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le 1 août 2021

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