L’artiste n’est pas entièrement créateur de ce documentaire passionné sur l’œuvre de l’artiste peintre serbe Ljuba Popovic : il se change ici en serf amoureux et exalté, en rupture absolue avec le reste de son œuvre totalement maîtrisée. Ce qui résulte alors de cette soumission galante est un documentaire minimaliste s’attardant sur les thématiques de l’érotisme, de l’onirisme, de l’Amour en tant qu’énergie vitale et créatrice universelle, et de l’acte artistique.
On peut s’étonner que Borowczyk ait pu gagner le Grand Prix de la Mise en Scène au IIIème Festival International du Film d’Art, tant l’ensemble est épuré de la singularité du réalisateur d’ordinaire toujours à l’œuvre. Mais c’est sans doute dans cette volonté de dévotion que l’artiste a le mieux exprimé toute la force de sa vision de l’art : à travers celui d’un autre. La résultante en est l’Art pour l’Art.
On comprend très vite, dès l’ouverture du court sur Ljuba fuyant la ville pour son atelier où il peindra son idéal exutoire, que lui-même et Boro se rejoignent dans leur anti conventionnalisme, leur marginalité dans le monde moderne, et leur travail éminemment érotique, absurde et fantastique.
Non content de donner à Ljubomir Popovic un terrain d’expression et d’exposition de son œuvre, le réalisateur s’applique de même, sans le moindre commentaire oral, à nous faire ressentir toute la plasticité de l’œuvre, les émotions qu’elles lui insufflent, ainsi que le message ambivalent qu’elles transportent et que Borowczyk met en scène, pour sa part.
D’abord vint la création. Grâce à un cadrage resserré et à un montage éclectique et vif, Borowczyk met en abyme le travail de l’artiste, en le « peignant à son tour » par les petites touches qui sont ses plans. Mais cela ne suffit certes pas à rendre pleinement honneur à Ljuba.
Cependant, on en voit au moins surgir l’émotion. Car c’est avant tout la charge sensuelle de ces œuvres que le réalisateur admire. Au-delà de cet érotisme qu’il dépeint, c’est l’utilisation brinquebalante de la caméra et son grain rosé et granuleux qui exprime le mieux cette sensation, doublée de l’Ouverture Wagnérienne de *Tannhäuse*r, quasi gratuitement, pour l’émotion de l’art.
Et de cette émotion en surgit un message. Comme pour le héros de l’opéra Wagnérien, Ljuba et Boro sont partagés entre spirituel et sensuel. Ici, Borowczyk en établit la symbiose, avec les deux thèmes du Chœur des Pélerins, sobre, et du Repentir, fougueux et lyrique. Le réalisateur veut transmettre toute l’ambigüité de la psyché et du désir humain, immoral, ne répondant avant tout qu’à la demande d’enivrement. Car c’est la fonction première de l’œuvre d’art : dérouter, enivrer, et susciter le rêve amoureux.