J’entre dans la dernière période rohmérienne, constituée principalement de trois ultimes longs métrages. Le cinéaste vient d’avoir 80 ans et vient tout juste de terminer son dernier conte, mais il plonge à nouveau, comme dans les années 70, dans un projet historique démesuré, en costumes et en décors factices. Rohmer s’attaque cette fois à la Révolution française et adapte les mémoires de Grace Elliot, une aristocrate inconnue des cours d’Histoire, qui fut notamment la maîtresse du Duc d’Orléans quelques temps avant les événements de juillet.
De l’existence de cette femme, il reste un ouvrage intitulé Ma vie sous la révolution, retranscrivant son journal intime entre le premier anniversaire de la Révolution en 1790 et sa libération de prison en 1793. Ce qui intéressait Rohmer c’était surtout de traiter la grande Histoire sous l’angle de la petite, intimiste, inédite. Et plus qu’un film musée, prendre le parti du conte moral : Le film relève moins de l’épopée que du combat vain, d’une vérité de point de vue, artistique plus qu’historique, qui est celui des monarques victimes de la Révolution puis du régime de la Terreur.
Mais le film vaut beaucoup pour la richesse et le ludisme de ses dialogues raffinés, empruntés et adaptés de ceux de Grâce Elliot. En prenant ce récit inconnu de tous, Rohmer peut contourner l’Histoire connue de tous et observer les évènements majeurs de la Révolution (La fête de la Fédération, la prise des Tuileries, l’exécution du roi, les persécutions et la chute de Robespierre) sous la lorgnette d’une aristocrate écossaise installée à Paris, puis à Meudon, terrifiée par ce qu’elle voit (période moins glorieuse de la Révolution française où l’on coupe des têtes voire les accrochent à des piques, comme c’est le cas de celle de la Duchesse de Lamballe) mais n’hésitant pas à venir en aide aux prisonniers politiques.
Si les intérieurs sont reconstruit en studio à base de trompe l’œil (que n’aurait pas renier Zucca) aux fenêtres, le gros du travail vient essentiellement des scènes extérieures, intégralement tournées dans un immense studio sur fond vert, sur lequel des peintures viennent se superposer à l’écran. Problèmes de perspectives, d’entrées et de sorties de champ, différence d’échelle : un vrai casse tête de laboratoire. Rohmer qui n’a jamais rien fait comme personne s’attaque aux technologies modernes (ajoutant à ses peintures de nombreuses incrustations numériques afin de brosser la profondeur) en ouvrant un bel hommage au cinéma bricoleur de Méliès.
Au-delà de son aspect formel ordonné et simpliste (ou pédagogique, selon l’humeur) – intérieures et extérieurs mêlés – Rohmer ne cherche aucunement à masquer l’artificialité de ses partis pris esthétiques et invente, en intérieur, des tournures mise en scéniques minimalistes inhabituelles à l’image de cette longue séquence (Le film est bien entendu souvent construit sur de longues séquences) où Grace cache le marquis de Champcenetz, le gouverneur des Tuileries dans son lit, tandis que ses quartiers sont fouillés par la garde républicaine ; Voire dans cette fin, où le cadre décapite volontiers chacun des personnages envoyés à la guillotine.