L'Anglaise et le Duc est un projet qui, à bien des égards, se révèle prometteur, que ce soit dans le fond ou la forme, où Eric Rohmer raconte la Révolution française d'un point de vue britannique tout en étant novateur en usant des nouvelles technologies numériques qu'il a à sa disposition.
Le cinéaste français nous dévoile ainsi un magnifique Paris de la fin du XVIIIème siècle, où les fonds verts sont utilisés pour faire des décors extérieurs de superbes peintures d'époques, pour être le plus fidèle à ce qu'il raconte. Cela lui permet de mieux nous emmener au cœur de son récit et au sein d'une période trouble de notre Histoire, de laisser planer une atmosphère magique, mélancolique, charmante et poétique, recréant ainsi un Paris disparu et fantasmé. Il donne tout simplement vie à ces tableaux, et nous y immerge de la plus belle des manières.
Ces magnifiques ornements accompagnent un passionnant récit où Rohmer nous présente la révolution par le biais d'une riche aristocrate anglaise défendant le point de vue du Roi. Il met ainsi en scène d'intéressantes réflexions autour de la Révolution, des dictatures, du contraste entre Paris et la province ou encore des oppositions, où ce n'était guère possible de remettre en cause des décisions durant la Terreur. Il prend clairement le parti de l'Anglaise, et dresse un constat glaçant (ainsi que sanglant) de cette période, et pour cela il s'appuie sur un scénario intelligemment et justement écrit, et il en est de même pour les dialogues ainsi que les personnages.
Ils sont effectivement intéressants, et on se plaît à les suivre sur des chemins périlleux où le danger, finalement, se trouve partout. Malgré l'audace esthétique et narrative, il se montre intimiste et sobre, ayant confiance en sa mise en scène et l'écriture pour ne rien avoir besoin de surligner. L'alchimie entre le fond et la forme donne l'impression d'avoir à faire à l'écroulement d'un monde disparu, et de voir les protagonistes subir cette chute qui les dépasse.
Il y a un vrai souffle qui traverse l'oeuvre, en plus de son atmosphère baroque et poétique (malgré la violence suggérée), une forte dimension historique marquée par la principale opposition, une amitié juste entre une royaliste et un révolutionnaire. Les comédiens sont remarquables, et ont bien compris la science des mots de Rohmer, en particulier Jean-Claude Dreyfus jouant le Duc d'Orléans avec justesse ainsi que la gracieuse Lucy Russel incarnant l'aristocratie Anglaise et Grace Elliot.
En signant L'Anglaise et le Duc, Eric Rohmer se montre glaçant et virulent envers la violente révolution et la Terreur qui a suivi, tout en y incluant une dimension plus poétique et baroque, grâce notamment à l'alchimie entre le fond, d'une rare justesse et intelligence, et la forme novatrice, et l'impression d'être face à des tableaux qui prennent vie.