La continuité entre L’Année dernière à Marienbad et Hiroshima mon amour est évidente : Resnais, sous l’égide d’un écrivain de renom, y explore la complexité amoureuse et l’expérimentation cinématographique.
Deux éléments vont particulièrement faire le lien entre les deux œuvres : le traitement de la mémoire amoureuse (qui sera aussi le sujet principal de Je t’aime je t’aime) et celui des voix littéraires. Même omniprésence, même mise à mal de la langue par un accent à couper au couteau, les voix du couple dessinent une mélodie et une conversation volontairement dissolues. Phrases en boucle, incantations mystérieuses et verbalisation constante d’un amour révolu, la diction du couple tente de restituer les zones d’ombre de l’amour, du souvenir et de l’impossible fusion entre les êtres en dépit de leur attirance magnétique. A l’image de ce jeu de cartes dont on ne comprend les règles et pour lequel on perd à tous les coups, mais pour lequel on retente sa chance de façon frénétique, le dialogue est clivé. La conversation se poursuit d’un plan à l’autre, s’affranchit de l’espace, redessine le passé, réécrit en continu un archipel émotionnel qui nous happe et nous noie sous son infrangible beauté.
L’artificialité de l’intime dans Hiroshima mon amour laisse ici place à une ambition plastique plus grande, une radicalité plus appuyée. Dans ce monde des nantis, tout est inféodé à une beauté froide et une humanité statufiée. Dans un registre certes radicalement différent, L’année dernière à Marienbad annonce les explorations architecturales du Shining de Kubrick : en mouvement sous les voûtes baroques, un travelling continu à l’éclairage somptueux distribue les espaces où les figurants posent, hiératiques. Au fil des corridors, des galeries de glaces ou des perspectives des jardins à la française se construit un monde aussi mort que fascinant, sépulcre assumé des passions humaines dévorées par le luxe et la minéralité.
Pour le spectateur, il s’agit de se laisser aller à la contemplation, de se laisser gagner par la fascination hypnotique de cette splendeur visuelle, et de la mettre en correspondance avec les filaments de sens qu’elle laisse sourdre. L’amour est un récit, un souvenir qui s’écrit en continu, se fantasme, se déploie. Qu’on accepte sa part de fiction ou non, il se répand et investit temps et espace, transcende les barrières rationnelles de leurs dimensions respectives.
Certes, L’année dernière à Marienbad est un film cérébral sur l’écriture, sur le cinéma et l’esthétique. Mais au détour d’un fragment, d’une discontinuité, dans les jointures de ces blocs esthétiques se logent ainsi la beauté mystérieuse des émotions humaines.