Si un jour on m'avait dit que j'attendrais un film avec Kad Merad au point d'aller le voir dès sa première semaine d'exploitation, j'aurai sûrement ri de bon cœur. Et pourtant les deux réalisateurs de Teddy , Ludovic et Zoran Boukherma avec leur concept barré d'hommage au film Les dents de la Mer auront réussis ce pari, car L'Année du Requin fait parti de ses rares films que je voulais voir sans attendre trois ou six mois de plus. Même si le film est à l'arrivée une relative déception il est également victime d'un certain bashing critique qui donne envie de le défendre un peu plus que de raison.
L'année du Requin c'est donc l'histoire de Maja, une gendarme qui s'apprête à partir en retraite après des années de service à s'emmerder sur les côtes landaises. Lorsqu'un requin débarque, l'occasion semble trop belle pour la gendarme de s'offrir un dernier coup d'éclat, une sortie par la grande porte et un acte de bravoure en capturant l'animal. Malheureusement tout ne va pas se passer comme prévu...
Malheureusement pour lui L'Année du Requin est vendu pour ce qu'il n'est pas tout à fait, lui assurant à coup sûr un futur joli four commercial. L'affiche et la bande annonce renvoient clairement à l'idée d'une grosse comédie un peu parodique de Jaws ce qui ne manquera pas de déstabiliser bon nombres de spectateurs non initiés à l'univers particulier des frères Boukherma. Je ne sais pas si les deux frères ont validés l'affiche et la bande annonce mais niveau promotion on est pas loin d'un suicide commerciale digne de la sortie d'Atomik Circus en 2004. Le bouche à oreille risque d'être catastrophique car le film va vraisemblablement attirer en salles des gens qui n'ont rien à y faire, mais aussi décourager certains amateurs de cinéma bis qui n'y verront de loin qu'une énième comédie franchouillarde estivale.
Mais tout le film porte en lui cette même dualité pas simple à appréhender car L'Année du Requin est objectivement un ovni bien difficile à vendre. Le film est un hommage sincère et évident au film culte de Steven Spielberg mais avec la pleine conscience qu'on est en France et que forcément ça va être un poil moins spectaculaire. Ludovic et Zoran Boukherma ont cette particularité de faire un cinéma de genre forcément inspiré par des modéles américains mais qu'ils souhaitent viscéralement intégrer dans une culture typiquement française. Les deux réalisateurs mélangent une nouvelle fois cinéma de genre, comédie parfois absurde, film d'auteur et premier degré dans un équilibre précaire propre à perdre les spectateurs incapable de jongler avec ces différentes strates de narration. Car L'Année du Requin n'est pas une grande comédie pas plus qu'un formidable film d'invasion animale ou un drame captivant mais il est un déconcertant mélange de tout ceci opérant parfois des ruptures de ton assez kamikazes. Si le début est plutôt léger le film glissera vers une certaine noirceur tout en brassant de nombreuses thématiques propres à notre époque comme le replis culturel et communautaire, le complotisme, la haine ordinaire des réseaux sociaux, la violence, les esprits gaulois réfractaires, le réchauffement limatique et la France post-Covid. Si le film s'articule solidement sur la même trame narrative que celui du film Les Dents de La Mer , il semble aussi parfois chanceler et partir un peu dans tous les sens dans ses digressions.
On retrouve dans L'Année du Requin la patte des frères Boukherma avec l'utilisation de nombreux comédiens non professionnels, un univers parfois proche de Bruno Dumont, un faux rythme un peu engourdi et un humour de décalage bien plus que de gags. Si j'avais beaucoup aimé Teddy , je dois reconnaître que L'Année du Requin fonctionne beaucoup moins bien. Peut être que l'équilibre est plus fragile entre drame, comédie et horreur et que le film trop référent en oublie d'imposer sa propre folie et personnalité. Peut être aussi que l'interprétation n'est pas tout à fait à la hauteur car même si Marina Foïs et Kad Merad s'en sortent plutôt bien ils semblent toujours un peu bridés et sur la retenue à tel point que c'est incontestablement Jean-Pascal Zadi, qui a pourtant le moins de temps à l'écran, qui marque le plus les esprits tout comme de nombreux seconds rôles non professionnels. Sans atteindre des sommets d'efficacité et de mise en scène le film offre quelques scènes d'attaque de requin plutôt bien foutues et spectaculaire notamment lors du final malheureusement plombé par un dernier assaut à l’issue trop expéditive et décevante. Et c'est peut être ça tout le drame de L'Année du Requin, de proposer des tonnes de choses intéressantes (la très bonne scène du cauchemar de Maja) mais de ne jamais aller tout au bout du bout de ses nombreuses idées ou de parfois les saborder par des choix étranges. Il est difficile de savoir à quel public s'adresse vraiment L'Année du Requin, trop bizarre pour les amateurs de pures comédies française et trop décalé pour les amateurs de suspens et d'horreur.
En sortant de la salle j'entendais trois jeunes discuter et dire que le film était une merde pas drôle du tout et d'autres dire que c'était nul comme film de requin. Pour ma part je dirais que c'est une décevante mais attachante tentative de faire une comédie noire d'invasion animal, comme si le requin de Spielberg s'était échappé pour se venir se perdre sur les côtes landaises avec ses gendarmes, ses baigneurs bedonnants, ses français râleurs et son cinéma qui même avec les meilleures intentions fait ce qu'il peut.