- Rédigé à sa sortie : http://zogarok.wordpress.com/2012/04/18/lantisemite/ -
Un contexte brouillé
Il y a une semaine, Dieudonné était convoqué devant la Justice par la Licra pour son film présenté en avant-première le 15 janvier et accessible aux abonnés de son site depuis le 23 mars. Refoulé partout en Occident, financé en Iran, regroupant des comédiens sans espoirs carriéristes, L’Antisémite personnifie la Mort et la Shoah, met en scène le guest Faurisson dans son propre rôle et construit sa trame autour des péripéties, directes ou mises en abyme, d’un personnage alcoolique, négationniste et antisémite. Ces tares sont d’ailleurs les motifs retenus par la Licra.
D’abord, il est certain que L’Antisémite aurait réalisé un score impressionnant au box-office et que sa condamnation, avant même que le projet ne soit concrétisé, était autant de principe que stratégique (une opération de sécurité publique et de maintien de l’ordre et du bonheur des citoyens, diront probablement les camarades de Malek Boutih ou d’Alain Jakubowicz). Un succès populaire aurait précipité la prise de conscience pour certains, la reconnaissance par d’autres, du phénomène de contestation et des frustrations que Dieudonné canalise ; sa présence contient peut-être davantage les esprits qu’elle ne les échauffe. Ainsi, certaines saillies de Dieudonné servent d’exutoire, quand son Théâtre de la main-d’or, QG officieux et temple de l’antisionisme, est devenu un espace d’expression notamment pour certains publics déshérités ou inaudibles. A coup sûr, la relative paix sociale doit plus à des chansonniers, artistes ou polémistes (ce n’est pas un fait nouveau) comme Dieudonné, qui sont parfois des portes-paroles ou des icônes malgré eux, qu’à des associations opportunistes (donc nécessairement viles si on tient compte de leurs engagements).
Le film en lui-même : une semi-déception
L’Antisémite ne cherche pas la nuance ni la réhabilitation, il s’en moque éperdument. Dans un élan à l’héroïsme bonhomme, Dieudonné balaie toutes les critiques dès l’introduction de son film (évocation de la Shoah en noir et blanc), ou il se vautre avec allégresse dans tous les écueils, cumule tous les gags les plus "politiquement" irrecevables. Dès lors L’Antisémite peut commencer et exister pour de bon et pour lui-même ; et si Dieudonné dépasse les bornes, les aficionados seront probablement déçus de l’ensemble. Non pas que l’esprit des spectacles soit absent, mais nous sommes un ton en-dessous et la bombe subversive, si elle est offensive, a tout d’une bagatelle approximative.
Sans surprise, Dieudonné campe le personnage-miroir entrevu dans la bande-annonce. C’est une sorte de Bernard Frédéric de Podium, en mille fois plus trash, mais avec cette même rigidité burlesque chez le héros. Sauf que le film promis par la bande-annonce se dilue dans un autre ; ainsi, L’Antisémite est une compilation d’extraits de tournage, un fake sur un fake, ou Dieudonné est une star respectée et accueillie pour concevoir un projet sur-mesure. Les Dieudonné multiples (à l’écran) partagent ainsi les mêmes traits ; hystériques, paranos, chacun voit des francs-maçons partout, amalgame tout ce qui lui passe sous le nez ou les yeux, à la façon des théoriciens du complot les plus farfelus ou incultes.
A l’arrivée, c’est un festival de vignettes plus ou moins osées ou transgressives, mais plombées par une confiance excessive en l’inspiration et le talent, peut-être même par une forme d’empâtement. Que la dramaturgie soit méprisée n’est pas le problème ; c’est la méthode adoptée et elle atteint ses objectifs. Mais il n’y a ni envolées ni coups-d’éclats grandioses (hormis quelques symboles, assez créatifs d’ailleurs), au point que le meilleur de L’Antisémite est contenu dans ses premières minutes, avec le monumental monologue du nazillon en goguettes, c’est-à-dire lorsqu’il ressemble à un "vrai" film (comprendre simple et structuré, de ceux qui ne confondent pas immédiatement les niveaux de réel). La seconde partie est même assez balourde, voir médiocre car redondante. Tout cela pourrait indiquer que Dieudonné, non seulement évolue en circuit fermé, mais en plus a épuisé le filon (ce serait donc un point de rupture car les dernières vidéos étaient toujours aussi brillantes et pleines de gimmicks fraîchement élaborés). Ou peut-être y a-t-il eu auto-limitation. D’ailleurs, la trivialité finit par mener au lieu d’accompagner (jusqu’au générique, drôle au début et vite limité), à la façon de ce gag du vieux beauf bloqué sur l’homosexualité qui finit par s’user.
C’est donc une succession anarchique de saynètes potaches ; c’est artisanal, bon enfant dans la pratique et téméraire sinon scabreux dans l’intention ; une boutique ou les fans et curieux viendront piocher (et il y a de la matière). Les plus avertis apprécieront la prestation de Alain Soral en producteur juif, un peu athée et fasciste sur les bords ; un personnage borderline qui lui sied parfaitement (on relève la revanche sur le milieu du spectacle, infesté de sionistes et de folles – il le proclame au premier comme au dernier degré). L’Antisémite peut être considéré comme une sorte de bonus à une œuvre gargantuesque et jouissive… alors que ç’aurait pu en être un morceau de choix. Mais il faut dire que, idéologiquement, Dieudonné n’a peut-être plus grand chose à transgresser (au niveau des notions sérieuses ou essentielles) tant il a atteint les stratosphères de l’underground géo-politique. Après tout, Dieudonné n’avait aucune aide, aucune salle, aucun réseau pour fabriquer son film : il est donc naturel que L’Antisémite ne soit pas un film, mais une parfaite créature dégénérée.
L’iconoclaste indépendant
Ceux qui ont suivis les actualités du film par le biais des polémiques qui l’ont accompagné et ont permis aux ouvriers de la Licra de se nourrir seront heurtés (parce qu’ils se sont conditionnés dans cette intention) mais pas surpris. Les étonnés seront des menteurs et des hypocrites ; les choqués/scandalisés (sur commande ? commande de quoi?) des conformistes ou des drama-queens en mal de bien-pensance et de reconnaissance d’une quelconque conscience citoyenne ou humaniste.
A cette heure, Dieudonné est le plus grand vendeur de tickets de spectacles, dans l’indifférence générale. C’est peu dire que le quidam qui se contente d’un monde émergé factice, soit a oublié l’existence de celui qui se qualifie de « branche humoristique d’Al-Qaida », soit l’a catalogué ex-icône perdue de vue à tout jamais. Pour autant, Dieudonné continue non seulement à subvenir à ses besoins, mais aussi à vivre, au milieu d’une Société qui l’a mis au ban et le nie ou le combat sans plus trop savoir pourquoi. Paradoxe, c’est peut-être cet homme reclus dans des tranchées qui est le plus libre de tous, en tout cas son château fort à lui est l’un des plus épanouis, éveillés et visités, alors même qu’il ne s’impose à personne, par aucune voie ni aucune stratégie de propagande d’envergure.
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