C‘est le meilleur film de John Carpenter, le plus génial à l’égal d’Halloween, peut-être plus jouissif et admirable encore, même si lui n’a pas marqué l’Histoire du cinéma. Refermant la Trilogie de l’Apocalypse (après The Thing et Prince des Ténèbres), In the Mouth of Madness réussit l’impossible adaptation : comment représenter « l’indicible » que l’auteur lui-même décrivait de façon détournée ? Carpenter y parvient et réalise le meilleur hommage alors recensé à Lovecraft, l’auteur de romans fantastiques américain le plus fameux avec Edgar Allan Poe.
John Trent, assureur indépendant connaissant le succès, est chargé par la maison d’édition de Sutter Kane de le retrouver. L’auteur prodige n’a jamais été vu et son agent aurait disparu. Ses derniers travaux sont plus déroutants, car il croirait à la réalité de ce qu’il écrit, toutes ces histoires de monstres faisant irruption dans la réalité. Trent doit éclaircir la situation, afin de presser la présentation du nouveau bouquin ou d’agir en conséquence si l’auteur est mort. Il s’élance avec Linda Styles (Julie Carmen), cadre dans cette maison d’édition (et seule personne avec l’agent à avoir lu le dernier livre de Kane), vers la ville d’Hobbs End dans le New Hampshire, où est censé vivre Kane.
Il est difficile de faire le compte-rendu de L’Antre de la Folie tant le film regorge d’idées, parfois autonomes et toujours géantes, nourrissant sa réflexion sur la fiction et l’imagination. L’hégémonie de celles-ci sur la réalité amène une redéfinition de cette dernière, des normes et de la folie. John Trent évolue dans des mondes auxquels il ne croit pas, pourtant ceux-ci sont sa nouvelle réalité : de cette manière Carpenter met en scène l’impact d’univers fantastiques comme ceux de Lovecraft sur ceux qui y ont jeté leur regard et leur âme. Ils en sortent affectés de manière irréversible et leur prise de conscience est une folie : l’ignorance (partiellement perçue maintenant) est une folie dans le sens où notre compréhension est défaillante.
Avancer vers la connaissance des univers larvés dans notre réalité superficielle, découvrir leurs mécanismes profonds, c’est entrer dans une matrice où la folie règne, mais d’une toute autre manière. À mesure que nos perceptions gagnent du terrain, nous nous installons dans la folie, car la véritable nature de l’Univers se dévoile dans son infinie complexité, mais d’une manière limpide que notre esprit ne saurait dominer. La folie n’est pas de s’adapter ou de le refuser, c’est d’être, dans un espace où nous sommes un pion totalement dépassé, écrasé par le vertige, privé de nos certitudes pour être confrontés au règne implacable d’éléments omnipotents.
Nous savons déjà que ce vertige va gagner : mais est-ce vrai, à quel degré et surtout, comment arrive-t-il. Les germes de son triomphe sont déjà partout, la folie collective se prépare, avec l’hégémonie de cet au-delà dont Kane est le porte-parole. Avec lui le film illustre la nature épidémique de la fiction et des croyances, capables de faire bousculer la vision de la réalité chez les lecteurs ; au point de modifier celle-ci, croit-on d’abord, ou d’amener une perception plus conforme à ses caractéristiques, ce qui est terrifiant et plonge dans la nuit l’individu incrédule comme celui illuminé. Sans basculer encore, Carpenter arrive à figurer l’indicible, avec une certaine profusion. Cela donne une tonalité furieuse à l’attente de l’inéluctable, caractéristique de son cinéma et de son rythme.
L’atmosphère est hybride, l’effroi et le grand-guignol, l’humour et le désespoir s’associent avec bonheur en laissant à chacun son intégrité. La réalité du spectacle est mouvante, baroque, la séance est fascinante, extraordinairement intense tout en inspirant une certaine décontraction. Aller vers le monde de Sutter Kane est angoissant, mais délectable, comme se plonger dans une perception parfaite de l’état des choses, entrer dans un système explicatif sans failles, se perdre dans un dédale infini et grandiose. Que de promesses menaçantes mais exaltantes, où les illusions et les repères cotonneux vont voler en éclat pour céder la place à une force véritable.
Tout en frappant par son unité, L’Antre de la Folie semble inépuisable. La quantité d’intuitions que Carpenter fait passer en 1h30 et avec une telle fluidité est affolante. Halloween était un aperçu quasi parfait de l’horreur finale, L’Antre de la Folie l’est pour le fantastique. Il associe un concept ambitieux à une vivacité de chaque instant, pour une stimulation optimale sur toute la durée : c’est un sommet d’intelligence et un divertissement à tous les degrés, un film nous détournant de la réalité telle que nous la concevons ou l’expérimentons, pour nous ouvrir à un univers d’une épaisseur et d’une cohérence parfaites. Il aura un épilogue monumental avec La fin absolue du monde, épisode de Carpenter pour les Masters of Horror, écrasant l’ensemble de ce que cette collection a fournie.
https://zogarok.wordpress.com/2015/04/12/lantre-de-la-folie/
Toutes les réalisations de Carpenter :
http://www.senscritique.com/liste/Classement_personnel_du_cinema_de_John_Carpenter_Zogarok/452754