L'Antre de la Folie clôt au milieu des années 90 la trilogie apocalyptique de John Carpenter mise en chantier en 1982 avec The Thing puis secondé par Prince des Ténèbres en 1988; ce film reste d'ailleurs sans doute son dernier long métrage véritablement notable, ou même plus, son ultime chef d'oeuvre !
John Trent (Sam Neill), un enquêteur sur les fraudes à l'assurance, est engagé par un directeur de maison d'édition pour retrouver leur auteur star Sutter Cane (Jürgen Prochnow), disparu subitement depuis plusieurs semaines. Après diverses recherches audacieuses, il retrouve l'emplacement d'une ville cachée sur une ancienne carte de la Nouvelle Angleterre et s'y rend avec une des collaboratrices du romancier à succès. Ils vont alors découvrir avec effroi que la frontière entre la réalité et la fiction est bien maigre ... jusqu'à atteindre la folie.
Ce film est un vibrant hommage à la littérature fantastique et d'épouvante, avec de nombreuses allusions et références à H.P. Lovecraft et Stephen King, oscillant entre le monde réel et celui des ténèbres, on peut également le voir comme un épisode d'une heure et demi de La Quatrième Dimension où les protagonistes perdent toute notion de logique d'espace/temps. Les thèmes abordés sont plutôt variés comme le mysticisme, le rationalisme, la mise en abyme du format, la représentation de la peur ou la religion, Carpenter les utilisent pour nous terrifier et nous perdre à l'instar de ses personnages. Le réalisateur cultive une immersion véritablement magnétique en privilégiant prioritairement, et de manière progressive, un contexte mystérieux pour le muter et nous ôter définitivement nos repères.
L'univers de la ville de Hobbs End propulse quasiment le spectateur dans un livre retranscrit sur pellicule, c'est assez incroyable de remarquer a quel point le scénario arrive à autant capturer notre attention, certainement parce qu'il reproduit graphiquement un espace à la fois baroque, intemporel et pétri de détails. De plus, substantiellement, les artifices (maquillages & divers effets spéciaux) sont utilisé bien souvent dans un relief clair-obscur, ce qui donne une puissance figurative très intéressante à la monstruosité et l'indicible, toujours dans cette logique d'impressionniste macabre. La réalisation de Big John garde ses standards et laisse le personnage de Sam Neill devenir fou face aux évènements surnaturels, où à force de rationaliser brise toujours un peu plus la coquille de l'horreur absolue, "la réalité n'est plus ce qu'elle était".
La dernière partie est sans nul doute la plus fascinante dans ce qu'elle nourrit en terme de reconstruction théologique du réel, Sutter Cane prend le contrôle du monde et de l'existence de toutes formes, Trent devient lui-même un élément à sa main et aucune porte de sortie ne pourra le sauver. Il y a également un questionnement intéressant sur le rôle des saintes écritures endoctrinant l'esprit des hommes, la littérature "bon marché" étant cette nouvelle Bible métamorphosant leur perception du réel, plongeant la Terre dans la chaos le plus total. Le sujet reste un sujet, au service du récit, et rien de plus, la conscience n'a pas sa place dans un univers imaginaire puisqu'elle n'existe pas de manière relative, c'est une façon de démontrer que l'art doit rester à sa place, Trent quant à lui demeurera prisonnier des ténèbres à tout jamais, la joie étant qu'il le sait.
L'Antre de la Folie est un très grand film d'horreur, certainement un des plus aboutis de John Carpenter et selon moi le meilleur des années 90 (de loin), petit monument d'ambiance et de mise en scène (lié à ce genre particulier), ainsi que portraitiste on ne peut plus pertinent de ce que doit être la peur au cinéma, une perte de soi et de ses repères, une projection vers l'inconnu, un frisson dans la nuit.