Le cinéma français a tenu une belle place cette année dans le cadre de la sélection officielle du festival de Cannes. L'Apollonide de Bertrand Bonello (Le pornographe, De la guerre...) est le cinquième long-métrage de son auteur et s'intéresse à la vie d'une maison close à la fin du XIXème siècle. Une chose est sûre, le cinéaste a fait preuve d'ambition que ce soit au niveau formel ou au niveau du traitement de son sujet. L'Apollonide évite la facilité et nous offre un récit novateur et mené de main de maître. Analyse:





Je ne connaissais absolument pas Bonello et ce film fut donc une découverte. J'ai d'abord été frappé par l'aspect visuel du film qui a bénéficié d'un traitement réfléchi. Ce film paraîtrait presque être un tableau tant les décors, les couleurs, les teintes et les personnages nous renvoient directement à cette époque avec une aisance folle. Esthétiquement c'est juste beau, le travail sur l'image et en particulier les jeux de lumière est admirable et ça contribue fortement à l'ambiance si particulière du film.
L'intérieur de la maison close semble avoir l'allure d'une prison dorée, baignant dans un luxe de façade. On y ressent comme un drôle de contraste entre chaleur humaine et chaleur etouffante. D'ailleurs le film entier semble régi par le contraste. Rien que dans sa conception, Bonello a réussi à orchestrer un contraste entre classicisme et modernisme et c'est un pari réussi, ce choix ne choque pas et même mieux, il semble pertinent alors que le débat de la réouverture des maisons closes a refait surface dernièrement.

Le modernisme dans ce film n'est pas seulement l'utilisation d'éléments anachroniques étant donné que le film paraît être d'actualité, la scène finale troublante en est d'ailleurs la parfaite illustration (je reviendrais dessus plus tard). Ce qui est touchant dans ce film c'est que Bonello a su lui donner une dimension humaine. Aucun personnage principal ne se dégage, le film ne contient pas une trame scénaristique classique mais pourtant on s'attache aux différentes protagonistes et on prend un certain plaisir à les voir évoluer. L'utilisation de la musique est particulièrement savoureuse. La scène de danse sous le magnifique air "Nights in White Satin" des Moody Blues est un véritable générateur à frissons. Le travail sur le son est admirable, la discrète musique utilisée dans les scènes se déroulant dans la maison close participant à l'ambiance feutrée du film tranche parfois radicalement avec l'utilisation d'une musique contemporaine; soulignant l'aspect moderne du film.
On ne retrouve pas ici la structure d'un film choral, plutôt celle d'un film collectif. On y suit la vie de la maison close sans s'attarder sur les motivations personnelles des protagonistes. La qualité de mise en scène est admirable d'ailleurs. Outre des cadrages minutieux et de sympathiques plan-séquences, il y a une véritable adéquation entre la forme et le fond et ce travail de réalisation ne semble en rien mécanique malgré le fait que tout semble avoir été étudié dans le moindre détail. Mieux, le film fait même preuve d'une certaine grâce, d'une belle forme de sensualité.



Le film de Bonello n'est pas racoleur pour un sou. Bien sûr en tant que spectateur on observe les coulisses d'une maison close mais point de voyeurisme malsain, rien n'est gratuit. Par contre le film malgré son côté très sensuel n'en demeure pas moins terrifiant. Terrifiant dans sa manière de décrire l'être humain notamment. Il n'y a aucune charge contre les clients de maisons closes, Bonello reste neutre, mais certaines scènes sont réellement glaçantes. Je pense au sort de "la femme qui rit", victime d'un délire de client parti trop loin. La prostituée semble, avec tous les clients, être un jouet, l'objet de mises en scène plus ou moins fantaisistes.
L'Apollonide est une oeuvre très humaine et féministe. On entre aisément dans ce lieu feutré pour se laisser transporter. Le film peut rebuter par son rythme assez lent mais pour ma part ce ne fut pas un problème. La narration éclatée laisse comme une forme de suspense également malgré l'absence d'un véritable fil conducteur, le film est réellement passionnant.

Oeuvre riche, complète et sincère, l'Apollonide laissera rarement indifférent. Si le film paraît neutre durant la majeure partie du temps, la scène finale trouble. On peut comme y apercevoir le point de vue tranché du cinéaste concernant la condition des femmes réduites à la prostitution et sur la (possible) réouverture des maisons closes. C'est culotté et surprenant. Je suis sorti retourné de ce film tout aussi magistral que troublant. Le cinéma français tient une nouvelle perle et une fois que le générique de fin apparaît sous l'air "Bad girl" de Lee Moses on est prêts à redemander un nouveau voyage aussi entraînant et sublime que cet Apollonide. Un grand film.

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le 20 avr. 2012

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Moorhuhn

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