J'ai eu le temps de penser à beaucoup de choses, pendant que sur l'écran les corps languides allaient s'alanguissant. Ce n'est pas forcément bon signe. C'est aussi que Bonello me paraît être un de nos réalisateurs les plus cérébraux (j'essaie de trouver un terme neutre, pas de procès d'intention derrière) : tout chez lui est filtré par l'intellect, les concepts, l'abstraction. Les choses ne se donnent pas pour des faits bruts, elles signifient.
Ici, c'est vrai, il y a un peu plus de lâcher-prise que d'habitude, mais j'ai trouvé Bertrand très empêtré avec ces corps qui s'ennuient et attendent qu'un peu de sens apparaisse (la dernière demi-heure par contre en est remplie jusqu'à la gueule, et soudain le film dérape dans un salmigondis qui m'a semblé particulièrement indigeste et superfétatoire). On leur fait prendre la pose, on les éclaire bellement, mais ça reste de la triste chair, hélas.
"Les hommes ont des secrets mais pas de mystère", est-il par deux fois dit au cours du récit. Et moi de penser, au sein de mon désintérêt, qu'on ne devrait jamais filmer pour mieux savoir, jamais capter et retransmettre pour mieux comprendre. Mieux vaudrait faire des films sur le mystère avec l'humilité de le laisser, à l'arrivée, entier, plutôt que de sonder froidement ce qu'on trouve mystérieux afin de lui faire avouer tous ses secrets. C'est un peu le conte de la poule aux œufs d'or : à aller voir ce qui se cache derrière, on risque bien de tout perdre d'un coup. Bonello, certes, est un maître du dispositif, des événements ritualisés, mais soudain j'ai senti que le rituel n'était rien d'autre -en fin de compte- que l'expression d'une peur irrépressible.
Le cinéma est largement affaire de fantasme, et je me demande si par contre-coup ça ne devient pas la chose la plus risquée à traiter en direct dans un film. Faire du pain avec une machine à pain, très bien, mais du fantasme avec une machine à fantasme... Dans ces matières-là mieux vaut, je pense, aller de biais.