Baisse la garde, de tous tes yeux regarde.

La mystification a toujours été un sujet cher à Xavier Giannoli : de Superstar à Marguerite, en passant par À l’origine, ses personnages se sont toujours retrouvés confrontés à une vérité voilée, qu’ils en soient les instigateurs ou les victimes.
L’Apparition ne déroge pas à ce principe, et pouvait logiquement conduire aux mêmes maladresses d’écriture qui ont souvent émaillé ses œuvres. Force est de constater que ce n’est pas le cas, et que son film fait preuve d’une maturité nouvelle tout à fait salutaire.


Peut-être faut-il chercher dans le choix du sujet les ingrédients qui lui confèrent sa tonalité et une épure tout à fait pertinentes : en s’attaquant à la religion et au mystère de la foi, Giannoli évite bien des pièges et dessine un parcours narratif sinueux, propice à bien des questionnements.


La confrontation du sceptique à la jeune voyante est pourtant archétypale, qui plus est quand on fait du premier un journaliste en crise suite à la perte de son partenaire photographe dans un attentat en Syrie. Ce début (un objectif maculé de sang, les lésions auditives…) allié au didactisme de l’exposition sur les enquêtes canoniques présentées par le Vatican n’est pas de la plus grande légèreté, surtout lorsqu’on sait qu’on s’embarque dans un film de 2h20. Mais il cède rapidement la place au véritable cœur du sujet, à savoir l’appréhension d’un phénomène irrationnel.


Giannoli est ambitieux, et mêle de front plusieurs fils narratifs ; c’est en premier lieu une galerie de portraits qui sèment le trouble parce qu’ils évitent de sombrer dans la caricature. Lindon, sobre et buté, se voit ainsi intégré à une commission d’enquête qui le pousse habilement à faire la synthèse entre les plus sceptiques et les hommes d’église touchés par la grâce. Face à eux, la jeune Anna (Galatea Bellugi, qui crève l’écran, oscillant entre le sublime inaccessible et l’humanité rêche) et sa garde rapprochée, deux prêtres aux motivations difficiles à cerner, mais qu’on ne pourra jamais unanimement condamner, et la foule des pèlerins, avide de croyance miraculeuse.


Sur ce tableau mouvant se greffe l’enquête à proprement parler : tortueuse, méthodique, laborieuse, elle est le nerf de ce récit au long cours et permet un double mouvement paradoxal : approfondir la connaissance des protagonistes, tout en rendant de plus en plus opaque leur motivation. Car les pistes traditionnelles s’épuisent les unes à la suite des autres, contraignant le journaliste à faire face à certaines vérités échappant à sa grille de lecture traditionnelle.


Et c’est là que le film prend toute son ampleur. Même si Giannoli poursuit son récit et conduit l’enquête à une véritable révélation, l’essentiel est ailleurs. L’Apparition porte bien son nom : c’est un film sur le regard. C’est l’apparition d’Anna face à Jacques, le regard souvent dérobé qu’il a sur elle, et qui tranche par rapport à celui, frontal et habité, qu’elle lui oppose. C’est la force du silence et du mystère de la foi qui ne pourra jamais se construire sur l’exigence de preuves.


Car le secret du récit réside dans cette exigence : l’apparition est l’occasion d’un message de la vierge, qui aurait évoqué la souffrance du monde et la nécessité d’aider son prochain. Si le récit ménage des détours suffisants pour ne pas trancher dans la question du surnaturel, il est intéressant de constater que le travail de Jacques le conduit précisément à appréhender différemment les êtres qui l’entourent. Et pour l’accompagner, la caméra de Giannoli fait un travail remarquable : sa façon de dévoiler à la volée des portraits dans la foule des pèlerins, un foyer social dans un très beau plan d’un groupe de jeunes allongés sur un canapé face à un téléviseur ou, plus tard, des réfugiés syriens traduit une empathie en adéquation avec la découverte de son personnage.


Ce n’est pas un hasard si une icône aux yeux brûlés vient semer le trouble dans les recherches de Jacques. Quelle que soit la part finale accordée à la religion dans le dénouement, le film se hisse à une hauteur inespérée grâce à cette acceptation silencieuse et pleine de promesses, qui définit la foi comme une école du regard.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
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le 27 févr. 2018

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Sergent_Pepper

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