"L’apparition" de Xavier Giannoli sorti en 2018 est un film d’une grande intensité et d’une grande intelligence. Evitant tous les pièges d’un tel sujet, il évoque la dimension supra rationnelle de la foi avec une grande subtilité.
Je pourrais disserter pendant des heures sur chaque scène et j’ai bien eu envie de consacrer toute ma lecture aux seules plumes qui occupent une place tellement spéciale dans le film. Les plumes légères qui pourtant demandent tant de travail aux moniales qui en font des couettes - comme un lien entre le monde spirituel et la vie concrète. Les plumes qui restent au bas de son lit quand le personnage d’Anna choisit de quitter ce monde, rejoignant en titubant son Chemin de Croix. Celles qui annoncent aux sœurs qu’elle s’est évanouie en se dispersant dans le monastère. Celles enfin accrochées dans le dos des sœurs et qu’elles s’enlèvent délicatement, comme de petites ailes inutiles…
Mais je vais concentrer mon attention sur seulement deux scènes de ce film de 2h20.
La première : celle où on voit un prêtre classer le dossier de l’enquête de ce journaliste joué superbement par Lindon. Toute l’ambiguïté de l’attitude de l’Eglise y est concentrée. Certes, une supercherie a été révélée. Mais cette révélation a du même coup mis en lumière la vérité du miracle. Pas tant celui de l’apparition de la Vierge, qui n'est d'ailleurs pas niée, mais celui du don absolu de soi d’Anna, celui de son sacrifice par amour, victime volontairement expiatoire d’un jeu de miroir où le menteur devient le porteur de vérité. Or, l’Eglise ne le retient pas comme tel. Il est pourtant là, au cœur de l’humain, dépassant de beaucoup n’importe quelle apparition divine…
La seconde est l’image finale - j’en dirai suffisamment peu pour ne rien révéler d’une fin ouverte à toutes les interprétations- voici la mienne :
journaliste traumatisé par l’horreur de la guerre, rendu sourd au monde , au propre comme au figuré, par sa confrontation à la triste réalité humaine, Jacques Mayano, joué par Lindon , est indifférent à tout, plaquant sur ses fenêtres des cartons pour se protéger du monde. Il va être confronté à un monde, des gens puis à un fait qu’il ne comprend pas en retrouvant dans la chambre d’enfant d’Anna une icône coupée en deux, comme elle, et aux yeux brulés. IL reviendra sur les lieux du conflit syrien et déposera cette image de la Vierge devant la porte condamnée du monastère détruit dont elle est originaire - en s'agenouillant. Est-il un instrument qui répare le sacrilège commis par la violence des hommes ? Lui, l’indifférent, reconnait en tous cas la puissance de l’irrationnel, du symbolique, peut-être de la foi. Comme il l’écrit au Vatican, son enquête lui a permis de constater que les âmes ont une réalité, un pays.
Il y aurait tant à dire. Les regards de plus en plus hallucinés d’Anna qui nous font sentir la sainteté à l’oeuvre. Cette image la montrant héliportée, aperçue depuis la statue de la Vierge qui surplombe le paysage. Cette réplique entre le journaliste et le prêtre qui protège Anna « je crois que vous êtes dangereux » dit le premier, « je crois que votre regard est vide »lui répond le second. Cet autre prêtre médiatisé qui organise le spectacle devant les pèlerins du monde entier et qui se « perd » en créant des « preuves » - bien inutiles - du miracle…
Un film qui donnera matière à réfléchir et qui n’impose jamais une seule lecture. A voir donc, et à revoir !
"Si l'Eglise ne met pas au point une doctrine satisfaisante des faits dits miraculeux, beaucoup d'âmes se perdront par sa faute à cause de l'incompatibilité apparente entre la religion et la science. Et beaucoup d'autres se perdront parce que, croyant que Dieu entre fréquemment dans le tissu des causes secondes pour produire des faits particuliers avec une intention particulière, ils lui imputent la responsabilité de toutes les atrocités où Il n'intervient pas." Simone Weil