Après Les Affameurs, L’Appât reprend le principe du western de convoi, mais en en resserrant les liens : la communauté se résume à quelques individus, et surtout, rencontrés par hasard lors d’une exposition qui va imposer au James Stewart de rigueur, particulièrement antipathique sur cet opus des compagnons avec qui partager à contre cœur une rançon.


La falaise rocheuse et ses anfractuosités propres aux échanges de tirs, un élément incontournables dans les westerns de Mann, ouvre et clôt ici un récit tendu, plus riche en cascades que les autres, mais ne laissant jamais le spectaculaire devenir une fin en soi. Le cynisme du capturé, l’égoïsme du protagoniste chasseur de prime et les divers défauts des compagnons qui le secondent par appât du gain sont autant d’éléments qui permettent au pessimisme du cinéaste de s’épancher comme à l’accoutumée.


Alors que la femme tient traditionnellement le rôle permettant la rédemption, la vision du couple est ici elle aussi contaminée : l’amertume du personnage principal s’explique ainsi par l’abandon d’une épouse l’ayant laissé au front et revendant sa propriété pour partir avec un autre, et le personnage féminin est d’abord entiché du malfrat mis à prix qui abuse de sa naïveté – avant un revirement un peu rapide et peu crédible qui lui permet d’endosser la fonction féminine qu’exige le genre.


Dans cette nature hostile, les représentants de l’humanité donnent chacun leur tour un aperçu des faiblesses humaines : le vieil homme en quête d’or se laisse berner du fait de sa nécessité, le renégat congédié de l’armée sera le fruit pourri aboutissant au massacre d’indiens qui n’en demandaient pas tant, petite communauté orchestrée par un criminel hilare, qui ajoute à l’immoralité un cynisme anarchiste.


La roche ne donne pas l’or, la rivière barre la route, et, comme dans Les Affameurs, la méfiance règne.
Même lorsqu’il quitte la société pour un trajet dans la nature, l’individu n’échappe donc pas à la difficulté d’être avec les autres, et, surtout, de composer avec le pire.


James Stewart parvient, avec Mann, à l’expression d’une complexité particulièrement intéressante. Parce qu’il ne s’agit pas ici de rétablir la loi ou une quête de justice, mais simplement d’une rançon, son personnage est aussi la quintessence de l’Amérique : celui pour qui l’avidité, le greed, est le motif premier, et génère fusillades, trahisons et massacres.


La rédemption proposée par la femme est ainsi un moyen d’achever le récit sur une morale, mais semble bien peu crue par le cinéaste lui-même. Elle conjure d’offrir au criminel abattu une sépulture, et de ne pas rejoindre la ville pour toucher la rançon. D’opposer, en somme, au salaire, un rite funéraire qui pourrait envisager non seulement une forme de pardon, mais rendre possible un nouveau départ. Comme si, dès ces origines troublées de la civilisation, on avait conscience qu’il faudrait tuer dans l’œuf une grande part des instincts humains pour que celle-ci soit réellement viable.

Sergent_Pepper
7

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le 18 déc. 2017

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Sergent_Pepper

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