Voyage dans le temps + Bruce Willis = Back to the future + Die Hard?
C'est triste que ce film soit si peu connu du grand public. Une oeuvre majeure du cinéma, sans aucun doute.
L'Armée des 12 singes est adapté librement de La Jetée, film également culte qu'il faudra absolument que je regarde un de ces jours. Dans un futur proche, l'espèce humaine a frôlé l'extinction lorsqu'un virus mortel a été libéré dans la nature. Les survivants se terrent sous terre, guidés par une poignée de scientifiques qui bricolent de quoi sauver l'avenir de l'humanité. Ils parviennent un jour à mettre au point une technique pour voyager dans le temps. Un prisonnier, James Cole, est désigné pour une mission incertaine: trouver des informations sur le virus et ceux qui l'auraient relâché, l'Armée des 12 singes, afin de permettre aux scientifiques de rendre la surface aux hommes. Il est donc envoyé dans le passé, peu de temps avant l'épidémie...
Tout le monde a déjà vécu cela: seul détenteur de la vérité, le monde autour de vous refusait de vous croire, tellement ce que vous disiez leur paraissait alien. Dans les études, par exemple: vous faites un travail de groupe, vous tentez d'expliquer ce que vous avez compris, les autres ne vous écoutent pas - il est plus facile de se tromper à plusieurs que d'avoir raison tout seul - et, bien entendu, vous aviez raison. Le complexe de Cassandre. Maudite par Zeus, cette dernière a reçu de lui le don de voir le futur, mais était condamnée à n'être jamais crue par les mortels. Elle tenta de prévenir sa famille que Troie allait être détruite, mais elle n'a pas été écoutée. De même, lorsque, captive d'Agamemnon, elle lui déclare qu'un complot se trame contre lui, il ne la croit pas, et finit estourbi par l'amant de sa femme. Lorsque Cole essaie de convaincre les gens qu'il rencontre que le monde sera détruit dans un futur proche, non seulement il n'est pas cru, mais est considéré comme un nuisible, et finit dans un asile, drogué et traité comme un malpropre. On touche pas à l'image que les gens se font du monde. Le film retrace fort ce fameux complexe qui empoisonne l'existence des gens qui en sont atteints: d'abord il tente de se faire entendre, ensuite, sachant ce qu'il arrive quand il parle, il se tait, et puis il finit par nier sa propre perception pour être plus heureux, et fait semblant que tout va bien.
Pourtant la vérité est là: tout va mal.
En parallèle, sa psychiatre, qui part avec l'idée que Cole est dérangé, finira par douter, accepter de l'écouter, puis réfuter en bloc ses affirmations. Jusqu'au moment où une preuve tangible de ses affirmations lui atterrit dans la figure. Elle perd tous ses repères, et la seule chose qui lui parait encore réelle, c'est l'homme qu'elle croyait fou.
Finalement, celui qui est encore le mieux dans ses pompes, c'est Jeffrey, le chef de l'Armée des 12 Singes, que Cole a rencontré à l'asile. Il présente tous les signes d'un désordre mental, et pourtant du début à la fin il avance droit. Il fait évader Cole, il manipule son père, il mène à bien un projet complexe et retentissant. Peu lui importe qui a tort et qui a raison, il sait où se trouve sa place, il sait comment l'occuper et il sait ce qu'il veut faire. D'ailleurs, jamais il n'interrompt une phrase qu'il a commencée, jamais il ne s'arrête pour réfléchir.
Le deuxième gros thème du film, c'est un classique du voyage temporel: la prédiction créatrice. Cole est tellement convaincu qu'il va se produire une catastrophe qu'il va finalement en devenir indirectement et involontairement l'une des causes. Du moins, c'est ce qu'il croit, puisqu'on finit par se rendre compte que non, il n'est pas la cause des soucis. Si l'on met cela en parallèle avec le complexe de Cassandre, on se rend compte qu'en plus de n'être cru par personne, Cole se sent coupable, comme si le fait même d'être le détenteur de la vérité faisait de lui une mauvaise personne.
L'Armée des 12 singes traite donc très largement ces thèmes avec intelligence et bonheur.
Le film est porté par une superbe bande-son et des acteurs au sommet de leur art: Bruce Willis, en James Cole, est parfait, Madeleine Stowe, psychiatre qui perd peu à peu tous ses repères, joue un jeu subtil et efficace, et Brad Pitt est carrément génial dans son interprétation de Jeffrey. Pour avoir eu plusieurs fois l'occasion de voir des "fous" de près, je peux assurer que son jeu est très crédible, mêlé au charisme naturel de son personnage. Quant aux seconds rôles, on trouve quelques très bons acteurs, très à l'aise dans le film.
Ce qu'on pourrait reprocher à ce film, c'est sa direction artistique très années 90, avec du bordel et de la saleté partout, un monde sinistre et contrefait, même (voire surtout) dans les passages du passé. Un spectateur du 21ème siècle, élevé au dépouillement et au design léché pourrait avoir du mal à appréhender le kitsch de certains personnages, certains décors. Toutefois, cela fait partie intégrante du film, et n'est pas en soi une mauvaise chose, au contraire.
L'Armée des 12 singes est une très belle réussité. Chaque fois que je le vois, je passe un excellent moment.
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