[Critique descriptive, donc truffée de spoils!]


Emmanuel Mouret a extrait quelques phrases de l'oeuvre d'Ovide pour en illustrer la pertinence dans le monde d'aujourd'hui. Quelle petite musique pour traduire le sentiment amoureux ? Je me suis demandé pourquoi le cinéaste n'avait eu recours qu'à du classique dans sa BO. Le classique et Ovide c'est le passé, que Mouret voulait confronter à la société actuelle. Le langage qu'il utilise, avec toutes les liaisons, sonne parfois faux car trop littéraire, mais il va bien avec ce "bloc du passé".


Mozart, Brahms, Chopin... sont aussi intemporels, tout comme Ovide : gageons qu'on les aimera toujours autant dans 100 ans. Et le projet de l'Art d'aimer est peut-être de montrer que ces situations sont inhérentes à l'amour, qu'elles échappent aux caractéristiques de l'époque.


Quoi de mieux que le film choral pour traiter un tel sujet ? Mouret choisit différents couples pour raconter plusieurs aphorismes d'Ovide. Avec plus ou moins de bonheur.


Le compositeur qui séduit moult femmes mais ne trouve l'amour que juste avant d'être emporté par une maladie, c'est assez touchant. Intéressant de commencer par une scène différente, dans son ton, du reste de cette comédie légère.


C'est ensuite l'histoire d'Isabelle (Julie Depardieu, très bien), qui n'a pas fait l'amour depuis un an, une véritable honte dans notre société actuelle. Il faut faire quelque chose, et son amie Zoé est prête à lui prêter son Jérémy. Tout cela n'était qu'un fantasme dans la tête d'Isabelle, mais celle-ci voit se produire exactement la même chose dans la réalité : même situation, mêmes phrases. Effet comique garanti. Dans le rêve, elle saisissait cette occasion - situation gênante, très drôle, quand Isabelle se présente chez son couple d'amis avec, typique de l'époque, cette idée que baiser est aussi anodin que faire une partie de cartes. Dans la réalité, Isabelle ne "saisit pas l'occasion". Sans doute pour cela qu'elle est seule ?


On passe à Achille, quinqua en mal de relations sexuelles, incarné par un très bon Cluzet. Bien dans le ton de Fais-moi plaisir !, avec la même Frédérique Bel, que Mouret affectionne, on se demande bien pourquoi, même si elle joue ici plutôt plus juste. On retrouve la rhétorique ciselée de Mouret le dialoguiste, qui complique tout en retournant contre Achille chacune de ses réponses et empêche l'amour de se concrétiser. Brillant. On va suivre cette histoire-là en plusieurs épisodes, justement nommés "Patience". En amour, la patience est difficile à accepter chez les hommes, Cluzet l'exprime ici comme le faisait Mouret dans la première scène de Fais-moi plaisir ! Dans la dernière de ces entrevues à répétition avec Achille, la voisine est tout de rouge et déclare qu'elle se sent vue comme un feu rouge dont on attend qu'il passe au vert. Exactement ça. Mais la patience a ses limites : dans un Nième sophisme, alors qu'Achille s'étonne qu'elle puisse ainsi "réprimer ses pulsions", la voisine répond que c'est bien aussi son cas puisqu'il ne lui saute pas dessus comme il en a envie ! C'en est trop. C'est sans doute ça qu'il faut faire avec une telle chichiteuse ! Et ça marche, bien dans la tradition du western hollywoodien où il suffit de forcer un peu une femme pour qu'elle se rende compte que c'est ce qu'elle voulait ! Malicieux, dans ce contexte, et politiquement incorrect. Certainement le meilleur sketch de la série.


C'est ensuite Amélie, la toujours peu convaincante Judith Godrèche, qui voudrait "faire quelque chose pour les autres". Les autres, c'est d'abord Boris qu'elle a en face d'elle et qui voit très bien ce qu'elle pourrait faire pour lui ! Comme souvent chez Mouret, s'il y a un désir, mieux vaut qu'il s'accomplisse et Amélie finit par s'y résoudre mais, attention, en silence et dans le noir, pour faire tomber ses inhibitions. Hasard, Amélie croise Isabelle, voilà qui est très arrangeant ! On s'attendait à ce que certains personnages passent d'une histoire à l'autre, Mouret négocie la chose habilement puisque cette fois Isabelle ne va pas "laisser passer l'occasion". Bon, là, on est franchement dans le vaudeville, même s'il ne s'agit pas ici de "s'occuper d'Amélie" mais de Boris. Amélie, d'ailleurs, préfère son "Ludo", qui ne s'occupe pas du tout d'elle (Louis-Do de Lencquesaing, en parfait goujat). Pas le meilleur sketch, malgré quelques belles images dans un musée (Amélie et Boris derrière des sculptures, ou en ombre devant des gravures) : un peu trop gros sans doute les multiples rendez-vous dans le noir. Une réflexion sur le pouvoir du corps, qui va l'emporter sur le feeling puisque les deux finiront par se trouver.


Emmanuelle est plus âgée, le démon de midi s'est emparée d'elle - le prénom n'est pas choisi au hasard, une référence érotique assez datée. Là encore, si l'on a des désirs, mieux vaut les satisfaire. Son mari l'accepte après une longue marche dans Paris, mais c'est finalement lui qu'Emmanuelle choisira de retrouver à l'hôtel. Gentillet.


Encore une histoire de désir qu'il vaut mieux satisfaire, décidément, avec Vanessa et William, un couple libre. Là, on baisse encore d'un cran, avec cette histoire archi rebattue des deux qui font mine d'aller voir ailleurs pour mieux se retrouver. Celui que veut Vanessa, c'est un collègue qui va bientôt repartir pour le Brésil et dont l'intensité du désir est irrésistible. William, c'est une stagiaire inventée, pour ne pas être en reste. Les deux bêtas se retrouveront le fameux vendredi soir chacun d'un côté de la vitre d'un bistro. Mouais. Mouret le dialoguiste nous réserve tout de même une jolie réplique lorsque Mouret le comédien avoue à Vanessa qu'il ne part plus au Brésil parce qu'il l'aime et que la jeune femme lui répond en substance : "ah, mais dans ces conditions c'est plus possible qu'on couche ensemble" ! Une efficace - et drôle - dénonciation de ce que nous avons fait de la relation sexuelle. Notons aussi que c'est plutôt le mensonge qui permet aux deux amoureux de se retrouver, pas du tout la transparence revendiquée au début de l'histoire.


Si ce marivaudage est parfois convenu, l'ensemble, tenu par la voix off de Philippe Torreton, est assez savoureux et se déguste comme une sucrerie de qualité. Pas sûr qu'elle laisse un souvenir durable : sur le même sujet et fondé un peu sur le même principe, on préfèrera le plus incisif Entre adultes de Stéphane Brizé.

Jduvi
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le 11 févr. 2021

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