Milos Forman est de ces réalisateurs qui provoquèrent mes premiers émois cinématographiques notamment dans « Amadeus » ou « Vol au-dessus d’un nid de coucou ». C’est donc avec une curiosité certaine que je découvre son premier long métrage, « L’as de pique » sorti en 1963. Pour être tout à fait honnête, ce film m’a ennuyé. Dans le registre des films naturalistes, soit j’apprécie l’expérience, car les thèmes abordés résonnent en moi, soit sa poésie du réel me laisse de marbre.
Dans le cas de ce film, j’opte pour la barrière générationnelle. Étant né après la chute de l’Union soviétique et des Républiques socialistes d’Europe de l’Est, les atermoiements de la jeunesse tchèque qui la conduira au printemps de Prague m’indiffèrent quelque peu. Cependant, le réalisateur étant talentueux, le long métrage présente de nombreuses qualités.
Le film nous expose la vie d’un jeune adolescent, Petr, apprenti venant de décrocher un travail estival qui consiste à surveiller les clients d’une supérette. Il nous présentera ses relations avec ses amis, notamment sa copine Aša et son ennemi Čenda.
Le long métrage s’inscrit dans la nouvelle vague tchèque qui ne souhaitait plus représenter de héros socialistes, mais de gens du quotidien vivant dans un système socialisme où règne une surveillance insidieuse.
Un exemple flagrant de ce contrôle repose dans l’emploi de Petr. Ce dernier est chargé d’empêcher de potentiels voleurs de commettre leur forfait sans en avoir officiellement les attributions. Le patron de la boutique lui indique qu’il fait confiance en ses clients, mais en même temps il lui demande d’observer insidieusement si personne ne cache de la marchandise sur lui. Il ne doit pas porter de tenue du magasin et ne pas être perçu comme un vigile. Beaucoup de plans marquent ce rôle de voyeur, gros plans sur des mains, inserts sur des produits. Durant les scènes dans la supérette, des rangées ou des murs obstrue partiellement notre champ de vision ce qui renforce la composante voyeuriste de ce travail.
La scène du vol est révélatrice de la situation de la Tchécoslovaquie au cours des années 60, vol d’une dizaine de paquets de bonbons témoignant d’une peur de la pénurie même sur des produits non essentiels.
Ce travail n’est qu’une touche de plus dans la vie perdue de Petr. Petr nous apparaît comme un adolescent timide et réservé en quête de sens et de liberté. Il apparaît comme perdu dans le cadre. Il est incapable de soutenir le regard de quelqu’un d’autre. Son personnage s’inscrit parmi les autres jeunes de ce récit en quête de libération sexuelle avec toutes ses envies et ses maladresses, mais également confronté à l’ancienne génération cramponnée sur sa morale chrétienne et les valeurs du vrai travail.
L’imprimé d’un tableau représentant un nu féminin que transporte Petr dans une scène s’oppose au portrait de la vierge à l’enfant trônant dans l’appartement des parents.
Pour conclure, ce film brosse un portrait sans jugement de la société de son époque — société partagée entre socialisme, traditions et quête de libération de sa jeunesse.