L’Astragale, film de Brigitte Sy, est adapté des mémoires d’Albertine Sarrazin, jeune femme évadée de prison et amoureuse éternelle. Deuxième film adapté de ce roman à succès, après un premier en 1969, cet Astragale là réussit le paris de dépasser la simple retranscription des faits, il dresse le portrait d’une héroïne éternelle. La réalisatrice s’intéresse ici à un an de la vie d’Albertine, de son évasion de prison en 1957 à une première arrestation en 1958. Cette année marque pour la jeune femme le début d’un nouvel amour, empêché par la cavale. Albertine y expérimente, à 19 ans seulement, le manque, le désir et l’inaltérable besoin de marcher, voire de courir. De n’habiter nulle part et partout à la fois, d’être au monde. L’Astragale tel que Brigitte Sy l’imagine et le réalise est un film d’amour sobre, magnifique et pudique qui met en avant les visages et la lumière d’un Paris lumineux, fait de rencontres et de cachettes.


Entre les murs


L’Astragale commence par une époustouflante scène d’ouverture, éclairée avec talent et minutie. C’est la nuit, Albertine (Leïla Bekhti) est prête à sauter du mur de sa prison, à s’évader. Elle se donne du courage et saute à plat ventre. En cherchant à se relever elle découvre qu’elle est blessée, elle ne peut pas marcher. La caméra la suit rampant sur le sol boueux, jusqu’à la route où elle arrête une voiture. L’homme qui s’y trouve ne peut pas la sauver, il arrête donc une autre voiture. Dedans, Julien (Reda Kateb) s’approche de la jeune femme qui pleure couchée près de la voiture, éclairée seulement par les phares de celles qui passent à côté d’elle. Julien soulève alors Albertine de terre, il la prend dans ses bras et l’emmène sous un arbre. Il lui promet de revenir, lui demande de l’attendre. Voilà, une double fulgurance dans la vie d’Albertine : un os du pied cassé, l’astragale, et un coup de foudre.
Dans cette première scène, elle doit déjà attendre Julien. C’est comme ça qu’est construit tout le film de Brigitte Sy, autour de l’attente amoureuse. Cette première scène, en noir et blanc comme tout le
film, est magnifique parce que ses plans sont travaillés comme des cadres où se joue à la fois la force des corps et celle des visages, que la lumière y est extrêmement importante, lumineuse et sombre à la fois.


Après cette rencontre inattendue, Julien et Albertine rejoignent une planque à moto. C’est à Paris qu’Albertine veut s’établir, ce sera donc chez Nini, une femme aussi méchante que gentille et dans l’appartement de laquelle Albertine se sent prisonnière. Les cadres sont sobres, il n’y a pas à proprement parler de reconstitution folklorique dans le film car Brigitte Sy a joué sur l’intemporalité et la simplicité. Albertine devient Sophie et doit porter une perruque blonde. Dans les rues, elle tente de ne pas se faire reconnaître, mais tout se joue pourtant par l’image. Son visage dépasse un simple changement d’identité. Captée en photo, elle respire Albertine, même en Sophie. Si elle vend son corps aux hommes, elle reste complètement entière dans l’amour qu’elle offre à Julien, qui peine à l’aimer en retour au départ. Ce qui frappe d’emblée, dans le difficile univers qu’habite Albertine, c’est la douceur et la bonté de Julien auquel Reda Kateb offre ses traits avec force, comme toujours. Doucereux une seconde, il peut exploser l’instant d’après, mais protège son jeune amour comme un trésor, même s’il lui faudra un an pour dire je t’aime.


Amoureuse de l’amour


Albertine cabotine dans les rues de Paris, boîte, rencontre et attend. Elle revoit Marie, sa complice et son amoureuse d’autrefois, qui affirme l’aimer plus que Julien. La jeune femme a fait de la prison par amour pour Marie. Ensemble, elles sont amoureuses et libres. Pourtant, c’est par déconvenue de Julien qu’Albertine retrouve Marie au bord de la mer. Ses propres retrouvailles maritimes avec Julien sont, elles, plutôt avortées. L’amour agit sur Albertine aussi durablement que sa blessure au pied, elle dit elle même « je ne peux pas faire marche arrière ». Guidée par son sentiment, Albertine parle de l’argent, le vol est pour elle comme l’amour, une succession de gestes qui parfois mènent au miracle, comme d’un besoin de possession. Si elle ne peut posséder l’autre dans l’amour car il est toujours fuyant, elle n’appartient à personne. Alors pour mieux s’appartenir, Albertine écrit, pas comme on parle, mais dans une langue aussi travaillée que percutante. Par l’écrit et l’amour, elle expérimente la souffrance, signe d’un véritable amour. L’empêchement est toujours extrêmement bien mis en scène, tout comme l’attachement d’Albertine pour Julien qui se sent un peu perdu face à tous les mots qu’il engendre malgré lui.


L’Astragale est un film sur l’amour, sur l’absence de l’autre comme d’une terre où poser un pied bloqué. Albertine est apatride, mais partout elle envahit l’espace. Julien créer de l’amour autour de lui sans le vouloir vraiment. Il y a dans ce film, autant de tendresse que de dureté, celle pourtant magnifiée des prostituées qui font claquer leurs talons sur les trottoirs parisiens. Albertine n’a besoin d’aucune drogue, on lui propose pourtant l’opium. La sienne c’est d’être une amoureuse transie, entière et libre. Toujours de biais, même quand elle est photographiée, la vie d’Albertine aura été rythmée par la passion et la débauche, c’est elle qui le dit, mais surtout par un succès littéraire. Ce très beau film, simple et romanesque, lui rend un hommage vibrant. On vibre d’ailleurs en musique avec un thème récurrent teinté de violon qui achève d’entourer L‘Astragale d’un charme éternel. D’autant que tous les acteurs offrent une partition éclatante, Leïla Bekhti en Albertine en tête, sa voix qui lit comme son visage et son corps sont tout entier dans cette histoire de femme libre, mais attachée à l’amour. Reda Kateb, Esther Garrel, Jocelyne Desverchère, India hair impriment eux aussi leur présence, à jamais figée sur une pellicule en mouvement qui dit la force du cinéma : faire vivre des figures réelles ou imaginées et leur faire traverser le temps sans ombrage. « C’est également le portrait d’une jeune femme dont la passion de l’extrême, l’amour de la liberté et l’ivresse de la jeunesse en font une héroïne éternellement moderne. Albertine n’appartient à rien, elle s’appartient. Elle est son monde, sa terre, sa propre planète. Une planète en feu qui explosera plus tard en plein vol. »* Albertine Sarrazin, la vraie, est morte à 29 ans d’une erreur médicale.


*Brigitte Sy à propos de son héroïne, citation rapportée par Allociné.


http://www.cineseries-mag.fr/lastragale-un-film-de-brigitte-sy-critique/

eloch

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