Il est important de voir The Strong Man pour rendre au burlesque son implication politique, pour le restituer dans une époque marquée par le traumatisme de la Grande Guerre d’ailleurs explicitement convoqué au début du long-métrage de façon détournée et parodique, et qui semble alimenter le conflit apparent entre l’ordre et le désordre, entre le chaos d’hommes imbibés d’alcool et désireux de voir s’agiter devant eux des freaks et le besoin de restaurer la loi et une harmonie durable. Frank Capra se saisit du pitre maladroit, figure déjà incarnée à l’époque par Charlie Chaplin puis par le duo montant Laurel et Hardy, pour le faire traverser, davantage que des aventures, des milieux géographiques et culturels : d’abord la guerre, puis la small town avec son église, ses intérieurs aristocratiques servant d’ateliers à des sculpteurs, sa salle des fêtes dans laquelle s’active un spectacle de curiosités humaines. S’opère un clivage entre l’espace public qui se définit par son activité tumultueuse et fanatique – les corps s’y pressent, les croyants y marchent les uns derrière les autres – et l’espace privé tout entier incarné par le jardin de la belle Mary Brown comme maintenu en marge du monde, un îlot de tranquillité à préserver.
The Strong Man plonge son protagoniste principal dans une somme de communautés imperméables les unes par rapport aux autres et que l’art de la gaffe permet seul de traverser et donc de relier. Dit autrement, l’unique ressource dont dispose Paul Bergot pour retrouver sa bien-aimée et ainsi remédier à sa solitude est sa maladresse, son manque de chance qui le contraignent à partager avec autrui un scénario commun. Les altercations involontaires produisent du lien social et le transforment, à terme, en gardien de l’ordre. Aussi finit-il par devenir véritablement cet homme fort annoncé dès le titre et qui ne paraissait pouvoir se réaliser que par l’ironie. Frank Capra prouve ainsi la pertinence de son geste artistique et met en scène une œuvre au burlesque délicieux et à la dynamique savante qui a l’entrain de son personnage et l’intelligence de son propos. Un très beau film à (re)découvrir.