« La rue sans joie », « Loulou », « Journal d’une fille perdue » sont autant de films qui résonnent aujourd’hui encore comme des chefs d’œuvre installant Georg Wilhelm Pabst au Panthéon des grands maîtres du muet pour le cinéma allemand. Ce que beaucoup semblent oublier, c’est que sa carrière s’est poursuivie cahin caha jusqu’en 1956, date de son dernier film. Mais dès l’apogée du parlant, il perd de son aura. Cela tient sans doute à sa bienveillance pour le régime nazi, plus probablement à sa manière de filmer, où l’inventivité, et disons le l’audace de ses débuts fait place à un certain maniérisme obsolète au regard des productions de la jeune génération. « L’Atlantide » en est le parfait exemple. Pour autant l’œuvre est intéressante, et même parfois fascinante.
Adapté du roman de Pierre Benoit, la fameuse cité perdue perd son côté insulaire et se trouve en plein milieu du désert, se rapprochant ainsi des textes d’Hérodote. C’est d’ailleurs ce qui a du séduire Pabst, puisque cela rend le mythe plus réel, et sert à merveille un scénario qui abandonne le fantastique pour une dimension plus psychanalytique. Car tout l’intérêt du film repose sur cette vision, dont le lieutenant Saint Avit est la grande victime. L’action se passe en Algérie, dans les années 30, lors d’une expédition dans le désert, le capitaine Morhange, secondé par le lieutenant de Saint Avit tombent dans un guet-apens. Le premier disparaît et le second se retrouve isolé dans un mystérieux village que dirige une femme Antinéa. Commence alors un étrange parcours labyrinthique pour de Saint Avit…
Le malaise ressenti par le lieutenant est palpable dès les premières minutes, on sent chez lui la faille de l’homme qui est perdu. Pierre Blanchar par son jeu borderline y contribue largement. Aussi bien dans le récit (il raconte à un autre gradé son aventure) que dans ce qu’il a vécu, une ambigüité, en apparence d’abord, entre abattement et folie est omniprésente. Plus on avance dans l’histoire, plus la perte de raison se confirme, et Pabst d’en jouer… Car on retrouve là toute la verve expressionniste de ses premières œuvres et l’on se délecte du cheminement visuel qu’il nous fait prendre. Pour souligner la descente aux enfers de Saint Avit, il choisit un plan où celui-ci est porté par quatre hommes dont les pas, tels lors d’une procession, martèlent en rythme la descente d’un escalier. La demeure d’Antinéa est un véritable labyrinthe où il est quasiment impossible de la trouver, composé de longs couloirs gardés par des hommes en blanc (Touaregs). De même les murs de cette demeure sont décorés de capitons identiques à certains hôpitaux psychiatriques de l’époque, et quand il s’échappera, il subira une douloureuse traversée du désert.
La bande sonore conforte elle aussi la folie par un choix musical pertinent (le French Cancan sortant de nulle part dans ce village perdu, l’orchestration pompière…) mais également avec cet excellent travail en prise de son direct (nous sommes au tout début du parlant !). Pabst alterne avec efficacité les décors de studio ou en extérieur (conférant plus de réalisme) et sait mieux qu’aucun autre jouer des ombres et de la lumière. Il a toujours un sens de la technique pointu, ses travellings, balayages ou gros plans sont calculés méticuleusement et d’une grande justesse. Cette partie du film est réellement extraordinaire.
Hélas, tout n’est pas à l’avenant. D’abord, les enchainements de scènes par un fondu au noir trop marqué viennent constamment casser le rythme au point d’en être énervant (surtout au départ). Ensuite le personnage d’Antinéa est complètement raté, Brigitte Helm, à la carrure d’un nageur de la Wehrmacht, au sourcil dessiné outrageusement, à la lèvre torve et au regard tranchant, effraie plus qu’elle ne séduit. Imposée à Pabst, ce dernier se venge en minorant son rôle, et en ne la filmant jamais à son avantage. Ce désamour pour son actrice vient entacher dramatiquement le film. Et quand elle prononce « celui qui a perdu l’amour à perdu le repos, et celui qui a trouvé l’amour a trouvé la mort » on ne peut que se gausser de tant de fausseté. Louise Brooks est bien loin…
Nonobstant cet écueil de taille, même si « L’Atlantide » n’est pas un chef d’œuvre, il se tient quand même par son originalité. Il se distingue du genre orientaliste (si couru à l’époque) par une approche formelle et parcouru d’un vrai suspens, qui bien qu’occultant toute violence (les morts sont toujours hors champs par exemple) n’en est pas moins « dur ». Enfin, la plupart des scènes, par leur symbolique (le travail sur le triangle, la présence du guépard…) ou leurs créativité savent retenir l’attention de manière constante. Bref, un film soufflé des mémoires, comme les traces de pas dans le sable après une tempête de désert, qui mérite une certaine réhabilitation.