Dès les premiers plans, le film frappe par sa beauté, un sens très italien de l'esthétisme, si poussé et raffiné qu'il pourrait même lui aliéner un certain public. Mais ce souci plastique permet sans doute de dépasser la rudesse du propos, son âpreté, qu'aucune croyance religieuse ne parvient à consoler : dans sa vaste villa sicilienne, Anna, superbement interprétée par Juliette Binoche qui porte ici le nom biblique de la mère absolue, vient de subir de plein fouet le choc causé par la brusque disparition de son fils, Giuseppe. D'emblée, Piero Messina donne le ton, en ouvrant son film sur la scène de l'hommage religieux rendu au jeune défunt ; l'image est onirique, ralentie, obscure comme dans un tableau du Caravage et les psaumes résonnent lointainement en d'étranges accords qui semblent n'être destinés qu'à l'oreille des morts.
Lorsque, au lendemain de cette cérémonie et alors que le rituel sicilien s'apprête à emmurer vivante Anna dans sa maison en voilant de noir fenêtres et miroirs, l'endeuillée laisse venir à elle l'amie du disparu qui annonce sa proche arrivée, ignorante du drame, on ne saurait s'en étonner. La lumière, d'ailleurs, envahit l'écran, indiquant clairement de quelle noirceur sépulcrale cette providentielle induction de sang frais vient sauver le personnage d'Anna. On ne saurait davantage s'offusquer de l'incroyable conversation au cours de laquelle le pacte, aussi inconscient que tacite, digne du pari pascalien, va se nouer entre les deux femmes : il s'est produit un deuil, dans cette maison au climat étrange, hantée de visiteurs consternés, drapés de noir et de silence, mais ce serait celui du frère d'Anna. Jeanne, l'amie dont les larmes perlaient déjà, se rassure et prodigue à la sœur éplorée les consolations d'usage ; Giuseppe a ainsi dû s'éloigner, mais va revenir, c'est certain.
C'est autour de cette certitude que s'élabore le formidable mirage du film, cette alliance sacrée entre les deux femmes qui pouvaient le moins souhaiter, au monde, la disparition de leur bien-aimé Giuseppe ; entre oubli de l'horreur affrontée et mise à distance presque magique d'une réalité dont on ne veut pas même entrevoir la possibilité, se joue un pas de deux féminin rare au cinéma, salutairement éloigné des classiques représentations concernant le duo hostile belle-mère / belle-fille...
Un abîme de réflexions s'ouvre alors : quelle option adopter, face à l'inacceptable ? Où se situe la raison ? Dans une acceptation de la mort de l'autre qui le tue une seconde fois ou dans la mise en place d'un mirage qui le ramène définitivement parmi les vivants ? Définitivement, tant que dure l'illusion, sur un mode très villiérien, ou lerminien, donc tout droit issu du romantisme le plus flamboyant. Mais ce courant artistique ne rencontre-t-il pas, face au scandale de la mort, sa justesse psychique ? C'est avec ce pari et ces interrogations que le très grand film de Piero Messina, inspiré par un récit de Pirandello, a le mérite de renouer.