Après avoir réalisé en 1932 « Du Sang sur le Volcan » dans lequel il révèle l'actrice Li Lili alors tout juste âgée de 17 ans, Sun Yu réalise un an plus tard en 1933, toujours avec Li Lili, L'Aube. Le film est muet, dépourvu de bande sonore, et raconte l'histoire de LingLing et de son cousin Zhang. Le père de LingLing venant de mourir, elle n'a pas de quoi payer les impôts ni les taxes et se retrouve obligée de quitter sa ville natale pour tenter l'aventure à Shanghai.
Elle et son cousin Zhang, tout comme une partie de la population de plus en plus nombreuse si l'on en croit les dires d'un vieillard qui n'a jamais quitté la ville, prennent le bateau pour trouver un travail à Shanghai et vivre une vie meilleure. Arrivé à Shanghai, leur cousine et son mari, habitant sur place, les hébergent et leur trouvent du travail dans une usine de textile. Cette nouvelle vie les comble, ils travaillent dans la joie et dans la bonne humeur et s'amusent pendant leurs jours de repos mais un évènement va venir troubler leur belle vie et briser leur bonheur.
Comme d'habitude chez Sun Yu, on assiste ici encore une fois à un portrait de femme forte, celui de LingLing interprété par Li Lili, une femme paysanne qui au fur et à mesure que le film avance va devenir une femme moderne et s'adapter à la ville. C'est un peu tout le contraste qui reviendra sans cesse dans le cinéma de Sun Yu, la transmission de la culture traditionnelle chinoise tout en s'adaptant aux idées des occidentaux sur les thèmes de la liberté et la modernité, c'est aussi finalement la représentation de ce qu'est la ville de Shanghai.
On retrouve aussi dans tous ses films, à plus ou moins forte dose, une propagande communiste chinoise car Sun Yu etait un patriote. Mais c'est aussi l'époque et le contexte qui veulent ça et on ne peut pas trop lui en vouloir de glisser quelques phrases bien patriotiques dans des films comme « La Légende de Lu Ban » ou bien « Avec le Vent en Poupe », mais dans L'Aube surtout dans sa dernière partie, c'est particulièrement appuyé.
Pourtant le film n'était pas obligé d'aller dans ce sens là, quand Zhang et Lingling découvre Shanghai, le soir dans la rue leur cousin les met en garde en voyant des prostitués et LingLing avec un regard dédaigneux dit : « Mais pourquoi s'abaissent-elles à faire un métier aussi dégradant au lieu de faire un métier décent ? ». Bien sur elle sera amenée à comprendre pourquoi quand elle même plus tard dans le film, après une série péripéties n'aura pas d'autres choix que de devenir prostitué.
Le personnage de Lingling subit une évolution durant le film, elle passe de la vie de paysanne à celle de citadine dans une grande ville comme Shanghai, puis ensuite comme une enfant qui devient adulte, elle perd sa naïveté ainsi que sa virginité pour mûrir et trouver une raison à son existence. Durant toute la dernière partie du film, on nous lance le mot révolution toutes les 2 phrases et malheureusement le film se termine d'une manière quelque peu ridicule, Lingling arrêtée pour avoir collaborée avec la révolution, choisit de se sacrifier et va même jusqu'à se faire belle et sourire pour l'occasion car de toute façon « Vous ne pourrez pas tuer tous les révolutionnaires ».
Le comble vient de sa dernière faveur : attendre qu'elle rie au éclat pour se faire fusiller. C'est un peu un goût amer qui nous reste dans la bouche et c'est bien dommage car le reste du film est encore une fois un beau portrait de femme et de son évolution.
Au niveau de la réalisation, Sun Yu utilise beaucoup de juxtaposition et superposition d'images, quelques flashback pour mettre en parallèle l'ancienne vie dans son village natale et la nouvelle vie à Shanghai de LingLing, ainsi qu'un très beau travelling horizontal pour suivre la monté d'escaliers des personnages sur 3 étages représentant leur ascension sociale.
Le jeu des acteurs est plutôt convaincant et Sun Yu arrive comme toujours à capter et faire ressortir la beauté de ces jeunes acteurs comme la scène où LingLing est allongée dans une barque se protégeant du soleil à l'aide d'une feuille pendant que Zhang conduit le bateau tout souriant. Le sourire qui illumine le visage de Li Lili, qui est encore une fois radieuse, ne peut être que communicatif.
Au final, le film est loin d'être mauvais mais le coté propagandiste et ridicule de la scène finale a un peu de mal à passer et termine le film sur une déception. Malgré tout, passé cette déception de la fin et après avoir pris du recul sur la vision du film, on se rend compte que hormis ce passage de la fusillade, le film est vraiment une réussite et que Sun Yu est vraiment un grand réalisateur.