L’Auberge du Dragon est le remake du film d’un des plus grands réalisateur de films de wu xia pian des années 60-70 : King Hu et son Dragon Gate Inn (1967). Le remake est né de la volonté de Tsui Hark, qui régnait alors en maître sur le cinéma hong kongais de renouveler le genre. Deux années auparavant il avait déjà ressuscité le genre avec le film Swordsman qu’il avait justement donné à réalisé au maître King Hu. L’Auberge du Dragon s’inscrit donc dans cette nouvelle lignée de wu xia pian à l’esthétique calligraphique, dont les cadrages surprenants, la photo sublime et les chorégraphies virevoltantes des combats au sabre, préfigurent ainsi les futures réussites du genre comme Les Cendres du Temps de Wong Kar-Wai, The Blade du même Tsui Hark, ou encore Hero de Zhang Yimou.


Le film est signée Raymond Lee, mais ne nous y trompons pas, il est à 100% par Tsui Hark. Il y tient la casquette de producteur et de scénariste, mais tout le tournage fut supervisé par lui, comme en témoignera ultérieurement l’actrice Maggie Cheung. Le résultat se voit d’ailleurs à l’écran : qui d’autre que lui saurait faire de manière aussi inventive des plans avec une caméra au sol ? Ou même de filmer de façon aussi dynamique des combats aériens ? L’Auberge du Dragon peut ainsi être vu comme un essai avant le mythique The Blade tourné 3 ans plus tard, où Tsui Hark ne cache pas cette fois dernière ses collaborateurs.


Qui dit essai ne dit pas brouillon attention, L’Auberge du Dragon est une réussite sur tous les points. Malgré un début un peu longuet, mais qui a le mérite de présenter le contexte de manière limpide (ce qui manque parfois aux productions hong kongaises pour nous pauvres spectateurs occidentaux), le film commence réellement à l’arrivée dans l’auberge. Le scénario se révèle alors pendant le reste du film astucieux et plein de suspense. Le film est ainsi un huit-clos puisque tout se passe dans un lieu unique autour de la figure centrale de Jade, la patronne de l’auberge est l’enjeu des opposants, les soldats et les partisans du chevaliers tentants chacun de l’avoir de son coté, la belle quand à elle tâchant à la fois de soutirer un maximum d’argent et d’attirer dans son lit le chevalier. Les intrigues vont bon train à l’auberge et les faux semblants se révèlent amusant lorsque chaque partie feint d’ignorer la véritable identité de l’autre.


Dans le rôle de la patronne de l’auberge à la tête d’une bande de voleurs, Maggie Cheung nous régale d’une prestation très loin de ses futures rôles d’héroïne romantique glacée, elle se montre aguicheuse, extravertie, sensuelle et drôle ! Le film vaudrait presque d’être vu que pour elle, mais c’est sans oublier Brigitte Lin, l’actrice incontournable des wu xia pian moderne. Dans L’Auberge du Dragon elle y joue un rôle à l’opposé de l’aubergiste, noble, froide et tout en retenue mais tellement émouvante lorsqu’elle croise le regard de l’homme qu’elle aime, et verse une larme lorsqu’elle le voit avec une autre. Le duo qu’elle forme avec Maggie Cheung est particulièrement réjouissant, parce qu’elles sont à la fois rivales, la patronne rêvant de lui prendre le chevalier, mais tout en s’estimant, elles en arrivent même à s’allier pour sauver l’homme qu’elles aiment toutes deux. La plus belle scène est ainsi certainement celle où elles s’affrontent en se déshabillant l’une l’autre dans un ballet de tissus avec une érotisme et une ambiguïté troublante. Et les hommes dans tout ça ? Tony Leung Kar Fai (connu en France pour avoir joué dans L’Amant de Jean-Jacques Annaud, à ne pas confondre avec Tony Leung Chiu Wai) se débrouille très bien dans le rôle du chevalier noble et héroïque, qu’il interprète avec sobriété et son charisme naturel. Il faut aussi mentionner Donnie Yen, méconnaissable sous le maquillage de l’eunuque, étant un acteur martial il donne donc toute son ampleur au personnage dans la scène de combat à la fin du film.


Justement à propos des combats puisque nous sommes dans un film de wu xia pian, ceux de L’Auberge du Dragon renouvelèrent à l’époque totalement le film de sabre, plus encore qu’avec Swordman, et les films du genre qui suivirent se firent sur ce modèle. Tsui Hark et le chorégraphe Ching Siu Tung apportent une nouvelle vision totalement esthétique et époustouflante, en les décomplexant et ôtant tout réalisme. Ici les combattants volent, s’élancent dans les airs, virevoltent… Les combats, mis en scène grâce aux câbles, deviennent de véritables ballets, aidés par un découpage ultra dynamique, mais qui peut enlever de la lisibilité à certaines séquences. Le combat dans le désert à la fin du film est à ce titre particulièrement remarquable, grâce à la magnifique luminosité et au désert représenté comme un véritable personnage du film. Le désert comme décor de film de sabre sera maintes fois utilisé par la suite, du Les cendres du temps de Wong Kar Wai, à Hero de Zhang Yimou. A noter que ce combat se finit par une note à la fois gore et burlesque, totalement surprenante par rapport au reste du film !


Pour finir il faut parler de la dimension politique du film, dans la première version de King Hu faite pendant la révolution culturelle chinoise, le chevalier représentait la résistance face au totalitarisme représenté par l’eunuque. Dans son remake Tsui Hark pousse le concept plus loin : il ajoute une représentation de Taiwan en la personne de Brigitte Lin (née à Taïwan) destinée à être avalée par la chine, ainsi qu’une de Hong Kong avec le personnage de Maggie Cheung, ouverte et offerte au plus offrant


On se retrouve donc avec des ménages à trois à tous les niveaux : dans le trio formé par le chevalier, son amante et l’aubergiste ; dans les groupes de personnages : le chevalier et ses compagnons, la patronne de l’auberge et son équipe, les soldats de l’eunuque ; dans le symbolisme politique : la Chine, Taiwan et Hong Kong.


En résumé, L’Auberge du Dragon est un divertissement rafraîchissant, amusant et sérieux, drôle et profond, violent et esthétique, aidé par un scénario astucieux, et des acteurs en état de grâce.


Originellement publiée sur: http://artzone-chronicles.fr/?p=997

Angellore
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le 29 mars 2015

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