C'est pas souvent, mais pour une fois je suis très heureux des choix éducatifs de mon université. Dans le cadre de nos cours nous devons aller voir 4 spectacles au théâtre de l'agora, ce soir c'était l'Aurore en ciné concert (quand je pense que ça devait être Duel à l'origine, je suis bien heureux qu'ils n'aient pas eu les droits). Accompagné par une guitare et quelques effets sonores discrets et très bien utilisés, ce film sur grand écran c'est un grand plaisir.
J'avais déjà vu ce film il y a quelques années en DVD, mais il faut bien avouer que l'expérience sur grand écran est incomparable, j'ai l'impression d'avoir à l'époque raté la moitié des effets si bien distillés par Murnau. Ces paysages magnifiques, ce noir et blanc incomparable et intemporel, ces surimpressions très inventives, ces petites séquences comico-burlesques du plus bel effet, ces acteurs les nerfs à vif, tout ça est magnifique, et bien plus encore.
Depuis quelques mois, je me disais (comme pour la plupart de mon top 10) qu'il fallait que je revois ce film pour voir, puisque ça fait pas mal de temps je l'avais vu, afin de déterminer s'il méritait vraiment cette deuxième place dans mon top 10. Puisque comme on dit l'occasion fait le larron, j'étais bien content d'avoir l'occasion de me refaire ce deuxième visionnage sur grand écran, et disons le tout de suite il mérite parfaitement sa place.
Ce fut un éblouissement total, un choc réel et puissant, une découverte hallucinante alors que pourtant je connaissais l'histoire, l'ayant déjà vu. D'abord il y a cette mise en scène sublime, avec ces scènes époustouflantes magnifiées par des surimpressions parfaitement réussies, ce paysage grandiose magnifiquement filmé, autant dans la campagne que dans la ville. Cette fameuse scène de tentative de meurtre dans la barque qui rappelle divinement ce très célèbre tableau de Munch qu'est Le Cri, quel régal. L'expressionnisme allemand traverse lui aussi divinement ce film de part en part, avec par exemple toute cette eau qui devient presque un personnage à part entière, jusqu'au intertitres qui dégoulinent littéralement lorsque la maîtresse propose de noyer la femme. La lune elle aussi devient un personnage à elle toute seule, semblant observer toute cette histoire tout en offrant de parfaits jeux d'ombre et de lumière.
Nombre d'éléments succulents grandissent ce film. Par exemple tous ces moments de bonheur inégalables qui vont se faire rappeler à la réalité (le baiser tendre au milieu de la ville par les voitures et la circulation, la complicité aidée par le vin par le serveur et son addition, l'étreinte dans la barque lors du retour par la tempête) où Murnau montre que, bien que le couple se retrouve et s'aime finalement, on n'est jamais vraiment tranquille où que l'on soit. Mais aussi comme je le disais plus haut ces saillies humoristiques qui nous font rire en plein milieu d'une grande émotion (la statue cassée et dont la tête sera remplacée par une balle ridiculement drôle, la scène de la danse ponctuée de cette satanée bretelle qui ne veut pas rester en place pour finir par une chute très ironique, le cochon ivre...) ou encore ces grands moments de suspense qui semblent ne jamais vouloir s'arrêter (la tentative de meurtre de la femme évidemment, mais aussi la tempête avec la recherche de la femme ensuite ou le moment de vengeance de l'homme à la fin). Il y a aussi de grandes ironies, comme la maîtresse qui sera finalement sauvée par le sauvetage de la femme alors qu'elle voulait sa mort ou la ville qui est tour à tour un élément perturbateur (la maîtresse qui vient de la ville, les voitures qui dérangent le baiser, l'homme chez le barbier qui va draguer la femme) et salvateur (la scène de l'église qui va réconcilier le couple, la fête foraine qui leur permet une danse endiablée).
Murnau offre une oeuvre très moderne, avec ces baisers enflammées ou ces scènes très violentes (la maîtresse secouée comme un prunier lorsqu'elle propose la noyade ou presque étranglée à la fin) qui ne devaient pas être très nombreuses dans les films de l'époque, ces procédés de surimpression qui offrent des moments oniriques et magiques parfaitement maîtrisés et tout à fait impressionnants. De cette violence meurtrière au début et à la fin du film aux moments de pur bonheur et de pure félicité dans cette ville qui est à la fois partout et nulle part, ce film nous fait vivre de grandes sensations que peut difficilement nous offrir n'importe quel blockbuster ou romance de nos jours. Bref, un chef-d'oeuvre (il fallait bien caler ce mot à un endroit tant il s'applique particulièrement bien à cette oeuvre)
Je ne peux donc que remercier ma fac pour m'avoir permis de (re)découvrir cette splendeur visuelle et émotionnelle qui n'a pas fini de faire battre mon cœur (et dire que le mois prochain je vais voir King Kong dans les mêmes conditions, j'en reste rêveur...)