On le sait, le mystère de l’amour est d’une potentialité infinie : pour les individus comme pour les artistes qui y trouveront la matière d’un récit. Roman Cogitore, (frère de Clément) s’attelle dans ce mélo à en mêler les fils complexes sous la forme d’un récit rétrospectif.
Le canevas est relativement classique : la première partie restitue la rencontre, les maladresses du début, avant que l’épreuve de la maladie n’impose de redéfinir les rôles, et la valeur des engagements. Mais dès le départ, le réalisateur prend soin d’insuffler à l’écriture quelques petites originalités, quelques détours qui annoncent le drame à venir. L’incursion de plans contemplatifs, la variation des échelles (l’évolution de cellules microscopique, des paysages vus du ciel, la ville qui contient les individus ou des architectures cadrées dans des proportions presque abstraites) déstructure la linéarité, et fusionnent avec la parade d’un couple un peu original. Le marivaudage passe en effet ici par la question non pas du langage, mais de la langue. Alors que Maria est une fonceuse explicite, Olivier est un taiseux craintif : le conquérir passera par quelques jeux polyglottes, ces deux français se retrouvant à Taiwan et passant sans transition de l’anglais au néerlandais ou au mandarin.
Tout cela est plutôt séduisant : l’esthétique est soignée, les comédiens convaincants, et l’écriture annoncent un sous-texte assez ambitieux. Mais Cogitore semble toujours dans un entre-deux, alternant entre un classicisme un peu fade et quelques expérimentations qui n’aboutissent pas vraiment. La structure en devient redondante, et l’émotion ne parvient pas à réellement s’imposer. On lorgne du côté de Malick sans embrasser pleinement son lyrisme, on pense à Resnais et sa déconstruction dans Je t’aime, je t’aime par exemple, ou les expérimentations de Schatzberg dans Portrait d’une enfant déchue, mais là aussi, le montage reste timide.
L’idée d’exploiter cette mémorisation sous forme de projection mentale des lieux pour apprendre toutes les langues était passionnante, mais l’exploitation sur laquelle elle débouche (en gros, des plans de lieux, type la chambre d’enfance et sa balle de basket) déçoit par sa plate illustration, alors qu’elle pouvait devenir une force motrice autrement plus audacieuse. Au lieu de cela, on poétise de façon tristement explicite, à l’image de cette séquence qui donne à l’affiche son image d’une douche sous laquelle tomberait la neige cendreuse de la tristesse…De la même manière, la thématique de la création (Maria projette d’écrire un roman) et la façon dont elle évolue en fonction du vécu des personnages aboutit à des évidences un peu déconcertantes.
L’originalité du récit devait se situer dans le deuil d’un homme qui n’est pas mort : un sujet fort, qui se trouve pourtant relégué aux dernières minutes, et qui noie dans une explicitation en voix off ce que l’image et surtout le montage pouvait pourtant prendre en charge. En résulte un film aux promesses multiples : L’Autre Continent est surtout une destination qui se maintient à l’horizon, mais reste inaccessible.
(5.5/10)