J'aime bien le cinéma d'Aki Kaurismaki. Son minimalisme, son esthétique doucement désuète, ses décors intemporels qui semblent être bloqués dans les années 70, ses personnages un peu ridicules au premier abord, mais profondément humains et touchants, héros qui remplissent d'humanité une vie quotidienne trop sinistre. Dès les premières images de ce cinéaste si facilement reconnaissable, je me sens bien.
Dans L'autre côté de l'espoir, les premières images sont plutôt énigmatiques. Sous un certain aspect, elles rappellent le début de L'Homme sans passé. Un homme arrive en Finlande en se cachant dans le charbon transporté par un bateau. Tout noir donc, il se fond dans la nuit finlandaise au point d'être presque renversé par une voiture. Pendant une bonne moitié du film, les deux hommes, l'immigré et le conducteur de la voiture, feront l'objet de scènes parallèles.
Le premier s'appelle Khaled Ali, c'est un réfugié syrien qui a fuit les massacres d'Alep, où sa famille a été tuée dans un bombardement. Arrivé ici, il pense pouvoir obtenir l'asile politique facilement et se conforme donc aux procédures officielles.
Le second s'appelle Waldemar Wikström. C'est un représentant en chemise, un petit employé, un de ces hommes anonymes qui peuplent les films de Kaurismaki. Un homme a la vie triste, gagné par le quotidien sinistre d'un monde froid et en crise. Lui aussi rêve de changement. Certes, sa situation est loin d'être aussi compliquée que celle de Khaled, mais autour de lui les gens partent, ils vont chercher ailleurs ce que la Finlande ne peut pas offrir, et lui veut se développer. Une vie entière à vendre des chemises, ce n'est pas l'idéal.
Khaled et Wikström sont donc très proches, d'un certain côté. Pour l'un, c'est la vie difficile des réfugiés allant de centres en centres ; pour l'autre, celle, guère plus simple, de citoyen lambda tenant de survivre dans la précarité économique. Ce sont les victimes d'un monde inhumain, jusque dans sa prétendue charité. La façon froide qu'a la justice de se retrancher derrière des textes de lois abscons pour dire, finalement, qu'elle refuse l'asile à Khaled est une belle image de cette inhumanité. Qu'importent les prétextes, l'essentiel est là : on traite les personnes comme des dossiers, des cas que l'on doit résoudre le plus vite possible, sans voir toute l'humanité qui se cache derrière. L'aspect humain est invisible. Quand on lui demande comment il a fait pour traverser autant de frontières, Khaled répond : « facilement, personne ne veut nous voir ».
Et pourtant, des frontières, il y en a énormément. Frontières entre les pays, entre les langues (Khaled ne parle pas finnois et doit toujours passer soit par l'anglais, soit par un traducteur), barrière de la couleur de peau qui attire les fascistes de tout poil, barrière qui empêchent un diplôme d'être reconnu d'un pays à l'autre, barrière administratives et bureaucratiques, barrières des centres de rétention...


Seulement, le monde de Kaurismaki ne se contente pas de constater cette froideur. Le cinéaste n'a pas son pareil pour montrer des personnages vraiment humains qui vont interagir. On le sent venir, et c'est inévitable : Khaled et Waldemar vont se rencontrer. Et le second va s'occuper du premier. Car c'est à nous de nous occuper de bâtir cette chaleur humaine, quitte à aller contre la loi. Ce n'est pas la première fois que les personnages de Kaurismaki font passer la fraternité humaine avant les lois du pays.
Cependant, le réalisateur n'oublie pas d'être réaliste quand même. Tout n'est pas idyllique. Pour un cas qui s'arrange, combien sont encore en souffrance ? Il suffit d'un plan sur une femme qui mendie dans la rue pour nous rappeler à la sinistre réalité.
Kaurismaki n'oublie pas non plus le racisme et tous les problèmes qui tournent autour des immigrés. Seulement il signe, une fois de plus, un film remarquable, qui navigue entre espoir, mélancolie et sinistrose, humour et tristesse, avec une place essentielle accordée à la musique (et des musiciens des rues qui ne sont pas sans rappeler les Leningrad Cowboys) qui non seulement exprime les états d'âme (voir cette scène superbe où Khaled joue de l'oud) mais permet de ne plus s'occuper de barrières.

SanFelice
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le 14 déc. 2017

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