Deuxième réalisation de Marc Dugain destinée à une sortie sur grand écran, « L’Echange des Princesses » nous transporte en plein XVIIIème siècle, à la cour du roi, alors que Louis XV (Igor van Dessel), orphelin mais encore enfant, voit son peuple gouverné par le Régent (Olivier Gourmet, parfait, comme à son habitude). Celui-ci, par intérêt personnel (sa fille est impliquée...) mais aussi par stratégie politique, afin d’asseoir une paix durable entre la France et l’Espagne, forme le projet de marier, véritablement, les deux pays, à travers l’union de deux jeunes couples : sa propre fille, Louise Elisabeth (Anamaria Vartolomei), épousera Don Luis, futur héritier du trône d’Espagne (Kacey Mottet Klein), et le jeune Louis XV épousera l’Infante d’Espagne (magnifique Juliane Lapoureau, haute comme trois pommes mais déjà reine, dans le maintien et le regard...), de beaucoup sa cadette et sœur de Don Luis.
Les futurs maris ne se déplaçant pas, fanaux inamovibles, on assiste ainsi au départ puis au voyage et à l’installation des deux jeunes princesses, l’une se refusant obstinément et durablement à son légitime époux, lui préférant des caresses féminines, pendant que l’autre, trop jeune, persistant à l’attendre avec une confiance désarmante, se voit fuie par son jeune mari, qui préfère des fréquentations masculines. Schémas en miroir, qui aboutiront à la dislocation, par différentes voies, de ces couples boiteux et à l’oubli historique de ces épisodes pourtant bien réels.
Sur le plan esthétique, tant visuel que musical, le film est sans reproche, d’une perfection toute royale. La musique de Marc Tomasi se fond dans l’esprit baroque, s’autorisant parfois quelques incursions plus grinçantes vers le contemporain, lorsque se disloque cet ancien monde. Les décors de Patrick Dechesne et Alain-Pascal Housiaux, ainsi que les costumes haute couture de Fabio Perrone, sont véritablement somptueux, admirablement recueillis par Gilles Porte, directeur de la photographie, qui a su recréer une ambiance volontiers crépusculaire, avec des éclairages rares et aussi directionnels que dans les tableaux de Georges de La Tour. On sent que la mort rôde et que la vie n’est pas si assurée, par ces temps où le moindre virus pouvait emporter rois et reines, quand ceux-ci ne se retrouvaient pas tout benoîtement empoisonnés, tant étaient grands l’appétit de pouvoir et la faiblesse des moyens d’investigation. L’ouverture du film expose d’emblée cette menace, en montrant le petit roi endormi, tout comme Madame de Ventadour (Catherine Mouchet, toujours confondante de naturel et de distance légèrement ironique mêlés, quel que soit le costume endossé), chargée de veiller sur lui en compagnie d’une suivante. Le choral de Bach, « O Tod, du Schlafesbruder... » (« Ô mort, toi, sœur du sommeil... »), n’est pas loin, dans nos esprits.
Et pourtant, loin de cet accent dramatique apporté par la menace de la mort, le sort de ces enfants royaux manipulés, actionnés par les adultes comme de vulgaires marionnettes, dans un théâtre suffoquant de beauté, finit par nous indifférer relativement. Alors que « Noces » (2017), de Stephan Streker, avait eu un effet bouleversant, avec son récit d’un mariage forcé auquel la promise tentait par tous les moyens de se soustraire, cette réalisation, malgré toute sa beauté formelle et l’excellence, le plus souvent, du jeu de ses acteurs, peine à nous toucher. Pourquoi ? À cause de la distance des ans, « Noces » se déroulant de façon contemporaine, alors que les princesses ont déserté notre quotidien ? À cause des ors, des velours et des boiseries superbes, des innombrables serviteurs et servantes, qui parviennent à tarir notre source compassionnelle ? Sans doute en partie. Sans doute aussi la caractérisation psychologique n’est-elle pas toujours suffisamment poussée pour que l’empathie puisse enjamber la distance des siècles... Car on se souvient de «La Mort de Louis XIV » (2016), d’Albert Serra, qui, malgré l’éloignement chronologique, nous avait laissés véritablement agonisants...
Ainsi, on sort de ce film un peu comme on émergerait d’un musée : encore ébloui par tant de beauté, mais dans un état d’insensibilité qui ne correspond pas aux drames humains que l’on vient de côtoyer...