Adapté du roman de Henry James, L’Élève représente la relation trouble qui unit un jeune artistocrate à son précepteur, Julien, d’abord inscrite dans un lieu délimité (le manoir que l’on pense domestique) puis décomposée dans l’espace et le temps. Ce qu’il manque à Morgan, enfant surdoué et maladif, n’est autre que ce qui ne s’écrit pas, à savoir le présent d’une histoire familiale dont il a honte (celle d’une « bande de canailles », dit-il) mais dont il incarne à lui seul les valeurs et la dignité sur le point de s’estomper. Le précepteur se fait le garant d’une amitié sinon impossible, comme le montre la scène naïve d’une bataille de neige en Pologne, en raison du caractère asocial de Morgan, enfant insupportable malgré lui en ce qu’il détonne par sa brillance naturelle au sein d’une famille qui doit, elle, se déguiser en permanence. Jean-Pierre Marielle a beau promettre un traitement de dix mille francs par an, le malheureux professeur n’aura que quelques billets, maigres au demeurant ; pour sa défense, le beau parleur pose la question suivante : « quel besoin avons-nous d’argent quand nous vivons si paisiblement ? » Le film compose ainsi deux extrêmes, deux rives entre lesquelles louvoie Julien dont la seule présence suffit à guérir l’enfant.
Et le plus curieux là-dedans, le plus beau aussi, réside dans la relation qu’il nous avec lui, relation tout à la fois distante et fusionnelle qui, alors même qu’elle doit reposer sur l’enseignement, s’affranchit des mots et se raconte autrement. Le précepteur apparaît telle une promesse de liberté, moins par ses connaissances – le petit génie les a déjà – que par sa mobilité. Cette dimension est portée par la photographie qui désature l’image comme de multiples lavages font perdre leurs couleurs à un vêtement, comme la lumière naturelle ternit l’éclat d’une peinture. Il faut attendre la clausule pour voir filtrer un rayon de soleil, associé à la couleur blanche, page vierge sur laquelle tout continuer ou tout recommencer, au son des vagues et des mouettes.
L’Élève témoigne alors des pouvoirs contradictoires de la fiction, porteuse d’espoir et de chimères – cette aristocratie décadente ne peut remonter le temps et retrouver le faste d’autrefois qu’au moyen de la fiction : le mensonge d’abord, les histoires ensuite, comme celle que l’on se raconte en chaîne le soir de Noël, réunis autour d’un sapin volé à un commerçant –, garante d’une unité familiale et de la solitude profonde des poètes nés poètes dans une maisonnée de précieux ridicules. Une œuvre intelligente et rigoureuse, portée par un Vincent Cassel convaincant tout en raideur et en retenue.