S'inscrivant dans le sillage drolatique de Ma Loute et explicitant jusqu'à son paroxysme absurde la mystique toujours présente en filigrane dans l'oeuvre de Dumont, L'Empire embrasse entièrement le fantastique, ce genre distillé à divers degré dans le travail de son auteur depuis ses débuts.
On peut, par souci de simplicité, diviser la filmographie de Bruno Dumont en deux catégories de films radicalement opposées : d'un côté ses tragédies, et de l'autre ses comédies absurdes. Même si ce n'est techniquement pas faux, ce serait oublier que loin de la pièce de monnaie à deux faces distinctes, son œuvre est plus proche d'un ying-yang, une touche de comédie arrivant toujours à trouver sa place dans la plus sombre tragédie, tout comme le macabre arrive à ternir sa plus absurde comédie. C'est d'ailleurs certainement cela qui rend Dumont si juste lorsqu'il s'agit de toucher à l'essence de l'âme humaine.
Pour revenir au cas de l'Empire, il s'agit là d'une de ses comédies absurdes. En premier lieu car l'auteur à conscience de la stupidité adolescente du space-opera, et décide de l'embrasser entièrement. Le genre en est ici réduit à son plus simple appareil : l'empire galactique du bien contre l'empire galactique du mal. Aucune fioriture bessonienne ni aucune salade politique à la Star Wars pour justifier un scénario alambiqué.
Mais cette histoire de guerre galactique est loin d'être le seul ressort absurde du film. Le plus évident est le choix du champ de bataille : la côte d'Opale, de nos jours. Et surtout les humains qui peuplent cet environnement. Comme à son habitude, Dumont choisit comme interprètes (exception faite de l'empereur du mal Luchini et l'impératrice du bien Camille Cottin en autres) des acteurs qui n'en sont (presque) pas, au physique atypique et à la prosodie approximative. Pourtant, il ne fait jamais d'eux un ressort comique en soit, à la manière d'un pervers qui filmerait avec moquerie des cas sociaux. Dumont garde ce regard tendre mais sans concession qu'il a toujours eu envers ses éternels voisins et sujets d'observation que sont les habitants du Nord.
Mais qui dit guerre galactique dit vaisseaux spaciaux. Et ici, en lieu et place de x-wing et d'étoile noire, nous avons droit à de magnifiques cathédrales gothiques et châteaux transformés en citadelles volantes. Cette direction artistique anachronique fait de L'Empire un film de science-fiction atemporel, ou des cavaliers en survêtement se battent à coups de sabres lasers, devenant ainsi une bien plus belle illustration du monomythe campbellien que celle fantasmée par George Lucas.
Certes, L'Empire ne saura satisfaire le spectateur limité qui réclame à longueur de tweet que des productions françaises se mettent à faire de la science-fiction à l'américaine (quoique, le film contient des plans de dunes), mais à l'heure où les univers cinématographiques partagés à la Marvel ou DC sont à la mode, l'inconditionnel de Dumont sera sûrement comme un adulescent à Disneyland en voyant que le commandant Van der Weyden et son acolyte Carpentier de P'tit Quinquin sont de la partie, annonçant peut-être l'avènement d'un "Dumont Cinematic Universe" (ne cherchez pas, je suis resté jusqu'à la fin et il n'y a aucune scène post-generique).