J’ai été très étonné de voir la salle dans laquelle j’étais (celle d’un multiplexe) pleine à craquer. Je l’ai moins été en apercevant des spectateurs en sortir au cours du film. Non pas que le film m’ait déplu, au contraire, mais la binarité à l’œuvre dans L’Empire (Bien vs Mal) se retrouve souvent dans ce qui dessine des spectateurs de Dumont. La bande annonce à ce titre est trompeuse.
A ma connaissance, c’est la première fois dans son cinéma que le « jeu » qu’il affectionne et dont il décrit généralement très bien l’emploi se retrouve exprimé frontalement à l’écran : la binarité. Dans ses précédents films, il jouait consciemment, comme d’un fader, des niveaux de bien et de mal (pour lui, le mal est présent, chez un individu, à partir du moment où le bien décline), sans en noter explicitement la présence (les 1 vs les 0). Pareillement, il confronte les comédiens professionnels aux non professionnels. La musique va contre l’image etc. Il déroute – peut-être moins mais toujours – avec ce jeu de contraste qui cherche à la fois le rire (pour ma part, c’est trouvé) et la métaphysique. Dans un cas comme dans l’autre, sa maîtrise du temps, dilatation et densification, permet parfois d’aboutir à une réussite. Le rire désacralise, c'est peut-être ce qui rend ici sa tâche compliquée.
Ce jeu de contraste me semble particulièrement fort ici, parce que les registres sont âpres à maîtriser dans leurs confrontations : parodie de guerre des étoiles, comédie burlesque, paysages du nord…
Notons qu’il reste dans le film un noman’s land : le sexe, car bien sûr, les relations sexuelles sont précisément là où se rejoignent le bien et le mal, le premier par vice et le second par amour. Sa manière de filmer ces scènes-là me sautent aux yeux par ce qu’il trouve certainement la meilleure distance, actuellement, pour les filmer. Sa réalisation à cet endroit, reste juste puisqu’il garde à distance un objet qu’il lui faut pourtant regarder.
L’équilibre reste compliqué. Notamment dans le jeu entre comédiens pro et non pro. De là sort le comique, parfois jusqu’à la gêne. D’autrefois, il semble trop faux, même s’il joue beaucoup sur ce genre d’artifice qui s’éloigne du naturalisme. Enfin, l’énonciation explicite du travail du bien et du mal chez l’humain (dans les dialogues), m’a parfois laissé de marbre, quand il se « contentait » de le faire sentir dans ses premiers films où l'action et les dialogues étaient sacrifiés au profit du temps. Ceci n’est pas une science exacte, puisque le travail formel du sacré dans Jeannette, l’enfance de Jeanne d’arc et dans Jeanne ne m’a pas empêché d’y être sensible.
Il reste beaucoup de choses à dire sur son regard mais sa présence dans le cinéma français fait du bien, en ce qu’il sort des conventions et qu'il cherche avec exigence à produire un effet véritablement personnel.