L'Empire
5.6
L'Empire

Film de Bruno Dumont (2024)

Le cinéma est une expérience collective et j'en parle assez peu mais cette fois ça m'a marqué. N'amenez pas vos gosses voir L'empire en salle ! Ils ne vont pas tenir en place, y'a des décapitations et des gens qui forniquent, franchement c'est pas le bon plan. Le môme et sa mère sont partis au bout d'une heure et demie parce qu'il n'en pouvait plus. On peut ajouter à cela que Bruno Dumont c'est un rythme particulier, qu'il croit à la catharsis et veut montrer le mal dans ses films. C'est une approche manichéenne mais où on ne fait pas de cadeaux au spectateur, comme Star Wars pourrait le faire par exemple (et j'adore Star Wars). Les moments amusants seront forcément précédés et suivis par de la gêne, ça fait partie de sa patte et ça peut faire paraitre le temps long pour bien des gens, quel que soit leur âge d'ailleurs.


Si vous aimez déjà ce que fait Bruno Dumont, n'ayez pas en tête non plus que c'est la suite de P'tit quinquin comme le vend la bande-annonce car le film raconte avant tout ce qui se passe avant La vie de Jésus, son premier film. Bien sûr, lorsque je dis "avant", je pars du principe que c'est dans une faille spatio-temporelle où les flics de P'tit quinquin sont plus vieux que dans la série et où les smartphones existent avant un film tourné à la fin des années 90. Mais il s'en tape de son univers, Dumont, c'est un outil et il va utiliser la science-fiction cette fois pour faire passer des émotions contradictoires au spectateur. Le film sert avant tout un propos sur le bien et le mal expliqué de façon faussement alambiquée qui colle parfaitement aux travers - qui font partie du charme - de la science-fiction. J'ai trouvé ça assez malin dans la façon dont c'est délivré même si évidemment il faut adhérer à la thèse du cinéaste pour que la pilule passe. Ce n'est pas non plus un hasard s'il met en conflit les zéros et les uns avec les zéros qui sont dans des vaisseaux en forme de cathédrale. Je ne saurais dire si c'est un taquet contre la religion ou si c'est un propos plus basique d'opposition entre la modernité et la tradition, mais ça me semble cohérent quel que soit le bout par lequel on prend cette réflexion.


Van der Weyden et Carpentier ont un rôle très secondaire dans le film et le commandant n'a que 4 répliques. J'espère que Bernard Pruvost n'a pas de soucis de santé parce qu'il n'a pas l'air en forme. Je sais que ça fait partie du personnage d'avoir des tics, mais il m'a paru épuisé à l'écran.


J'ai envie de revenir sur les propos qu'Adèle Haenel a tenu lorsqu'elle était pressentie pour jouer le rôle de Jane dans le film car ils me rendent très curieux de voir la version du scénario elle a lu. En effet, elle évoquait des blagues sur la cancel culture et #MeToo et il n'y en a pas dans le film. En revanche, lorsqu'elle parlait de racisme et de sexisme, enfin surtout le sexisme en l’occurrence, oui il y en a dans le "produit fini". Je trouve sa prise de position sur le sujet courageuse et tout à fait respectable. De mon côté ça ne m'a pas gêné dans le film car pour moi Dumont a toujours fait des films dérangeants avec des sujets limites évoqués assez frontalement. Je ne ressens pas particulièrement de complaisance envers ces actes ou l'écriture des personnages lorsque je vois les films mais encore une fois je comprends ce qu'elle voulait dire. Si vous êtes particulièrement sensible à ce sujet, pour moi c'est logique de se sentir un peu heurté par ce que montre le film. Et en même temps sur la question du sexisme, j'ai l'impression assez bizarre que c'est une manière sans doute très maladroite et pas vraiment raccord avec 2024 de montrer des "femmes libres". En effet il fut un temps où au cinéma ça passait par une sexualisation à outrance qu'on retrouve chez le personnage de Line par exemple ou encore la façon dont le désir se manifeste chez Anamaria Vartolomei, provoqué littéralement par du harcèlement sexuel et donc mal amené. Tout ça pour dire que moi j'aime beaucoup ce que faisait Adèle Haenel en tant qu'actrice et c'est très bien qu'elle ait été en accord avec ses principes lorsqu'elle a refusé de faire ce film.


Il y a des plans que le réalisateur a emprunté à Star Wars Épiode III - La Revanche des Sith et la filiation est logique. Jony et Belzébuth sont vraiment filmés comme Anakin et Palpatine et j'ai trouvé ce clin d’œil amusant. On a aussi un "L'hiver arrive" balancé par l'un des personnages par rapport à Game of Thrones que Bruno Dumont adore aussi.


Les effets spéciaux sont très propres. Le truc c'est qu'on reste chez Bruno Dumont donc les vaisseaux spatiaux ou les sabres laser ne bougent pas comme dans Star Wars, il n'a pas la même vision du mouvement que George Lucas ou les réalisateurs qui lui ont succédé sur la saga et tant mieux, ça ajoute de la bizarrerie à l'ensemble. D'ailleurs ce sont des sabres à trois lames avec des manches pas du tout optimisés pour du combat comme on en voit dans la célèbre saga américaine. C'était pas bête du tout aussi de faire des bruitages assez différents pour les sabres. Si lorsque les sabres bougent on a une sonorité un peu similaire à ce qu'on entend dans Star Wars, lorsqu'ils s'entrechoquent ça n'a pas du tout le même impact. Et ça renforce la nullité au combat du personnage de Rudy, à quel point c'est ridicule de le voir s'entrainer devant chez sa mère.


Le travail du son est intéressant même s'il n'est pas hyper innovant. On retrouvait déjà ça chez Lynch mais c'est vrai que ce sont des procédés finalement pas si utilisés que ça dans le cinéma de science-fiction de façon générale. Le concept, plutôt que d'inventer une langue spécialement pour le film, c'est de déformer les voix en jouant sur leur hauteur et leur compression et de passer les répliques à l'envers. C'est simple et efficace pour provoquer un dépaysement mais peu de gens osent le faire dans leurs films.


J'ai beaucoup aimé les acteurs de manière générale, même si j'ai du mal avec Luchini. Les acteurs non professionnels, même pour les quelques visages qu'on a pu voir dans d'autres films de Dumont, sont soit drôles, soit touchants. Mais il n'y a plus vraiment ce côté hyper bizarre où ils récitent leur texte en bafouillant comme ça pouvait être le cas dans Jeanne par exemple. Il y a une scène où une dame parle de ses courses, et évidemment que les gens riaient dans la salle parce qu'elle "dérange" le personnage de Camille Cottin à ce moment-là, mais elle était hyper mignonne fondamentalement à parler de ce qu'elle a acheté. C'est le genre de moments qu'on retrouve si peu au cinéma qu'il faut en profiter tant qu'il y en a. J'ai l'impression et j'espère très sincèrement que Lyna Khoudri et Anamaria Vartolomei se sont amusées en jouant dans ce film.


Le montage joue pas mal sur la dimension comique du film en renforçant le décalage entre les ambiances dans l'espace et sur la Terre. Les transitions sont des coupes très brutales pour le coup à l'opposé de Star Wars où on y va toujours en douceur avec des fondus lorsqu'on change d'environnement, le tout avec une musique qui habille l'ensemble.


La caméra se balade à un moment au dessus de simples champs et je n'ai pas pu m'empêcher de me souvenir à quel point Dupontel s'est raté sur Second tour avec son plan-séquence moche sur sa pygargue en train de voler. Pendant ce temps, Dumont filmait des champs de patates avec une photographie pâlotte et un ciel gris et le rendu est magnifique à l'écran. C'est pas évident de faire quelque chose de poétique avec sur le papier un contenu aussi peu attrayant, mais là ça marche.


En bref je ne vais pas non plus revenir sur chaque scène du film mais pour conclure : j'ai trouvé ça passionnant même si j'ai pu m'ennuyer un peu par moments. Ça foisonne d'idées, l'ambiance est unique et évidemment que ça ne va pas plaire à tout le monde, mais si vous avez une heure cinquante devant vous et l'esprit bien ouvert, peut-être que ça vous touchera, probablement plus que moi d'ailleurs.

GuillaumeL666
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le 22 févr. 2024

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