Le dernier film de Bruno Dumont est un mélange étonnant de forces contraires et complémentaires, à la fois film de science-fiction (sabres lasers, extraterrestres, vaisseaux spatiaux... ) et film d’héroïque fantasy (... En forme de Sainte-Chapelle et de Palais royal de Caserte, balades à cheval), il met en scène des acteurs professionnels (Anamaria Vartolomei, Camille Cottin, Fabrice Luchini...) et d’autres non professionnels (Brandon Vlieghe, mécanicien, qui incarne ici un zéro, un extraterrestre défendant les forces du mal). Cette idée de rencontre des contraires s’incarne jusque dans les aliens, les uns d’un côté et les zéros de l’autre, qui s’incarnent, à quelques exceptions près, dans des corps masculins, pour les zéros, et dans le corps de femmes pour les uns. Le cinéaste n’envisage pas de choisir entre le bien et le mal, les deux doivent cohabiter ensemble, sous peine de disparaître dans le néant. Les voyageurs venus d’ailleurs s’affrontent dans une bataille éternelle, celle du bien contre le mal mais découvrent un monde plus nuancé à travers l’expérience de l’humanité. « Les humains sont nuls » mais ils sont à la fois aussi « attachants et si cocasses » comme le dit la reine des uns, incarnée par Camille Cottin. L’originalité de ce space opéra fortement inspiré par l’univers de Star Wars, est de prendre place sur la Côte d’Opale, chose peu commune dans ce type de cinéma déjà délaissé par le cinéma français.
Ses décors dépourvus de tendresse, rentrent en dissonance avec le ton plus amusant de certains dialogues. Si l’idée est passionnante sur le papier, le cinéaste perd en netteté et en efficacité, que ce soit dans l’humour ou dans la limpidité de son propos. Ces imprécisions perturberont sans doute les spectateurs les plus rudimentaires, qui préféreront voir un discours misogyne (les actrices de moins de trente ans étant souvent assez peu vêtues) plutôt qu’un discours sur la condition et le traitement des corps féminins dans le cinéma de science-fiction populaire, précisément un cinéma ancré dans les années 70 et 80. L’Empire n’est pas un film transgressif mais subversif, il préfère être un indomptable : par moments mystique, par moments risible, par moments plaisant (particulièrement durant sa première moitié), par moments crispant, par moments fin, et dans d’autres moments, rustre. C’est un film qui se renverse lui-même constamment. Cette irrégularité permet au film d’être totalement unique, au sein même de la filmographie de Bruno Dumont, mais perd en chemin son intensité de départ.
Les références aux univers de science-fiction ne manquent pas (Star Wars déjà cité), certains plans peuvent rappeler l’aridité de Dune de Denis Villeneuve ou des thèmes métaphysiques et philosophiques à la 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Ces références ne servent jamais de modèles, le cinéaste originaire du nord en profite pour les détourner, les ridiculiser, quelques fois même, les revitaliser, mais ne cherche que trop rarement à les introduire dans son geste. Le réalisateur semble assez distancier de ce genre, et finalement, la sauce science-fiction naturaliste à l’humour décapant ne prend jamais vraiment. Et si L’Empire était finalement le film le plus humain de son auteur ? Jonglant continuellement entre maladresses et manœuvres attendrissantes.